Wazir
Traduction : Vizir
Langue | Hindi |
Genre | Thriller |
Dir. Photo | Sanu John Varughese |
Acteurs | Amitabh Bachchan, John Abraham, Farhan Akhtar, Neil Nitin Mukesh, Aditi Rao Hydari, Manav Kaul |
Dir. Musical | Shantanu Moitra, Prashant Pillai, Gaurav Godkhindi, Ankit Tiwari, Rochak Kohli, Advaita |
Paroliers | A. M. Turaz, Swanand Kirkire, Abhijeet Deshpande, Manoj Muntashir, Vidhu Vinod Chopra, Deepak Ramola |
Chanteurs | Shreya Ghoshal, Sonu Nigam, Javed Ali, Amitabh Bachchan, Prashant Pillai, Farhan Akhtar, Ankit Tiwari, Gagan Baderiya |
Producteur | Vidhu Vinod Chopra |
Durée | 104 mn |
Daanish Ali (Farhan Akhtar) est un policier d’élite travaillant à la lutte anti-terroriste. Sa vie familiale est un bonheur sans pareil qu’il partage avec sa délicieuse épouse Ruhana (Aditi Rao Hydari) et sa charmante petite fille Noorie âgée d’environ 8 ans.
Un jour, alors qu’il conduit sa femme et sa fille à un spectacle de danse, Ruhana lui demande de faire un petit arrêt imprévu dans un magasin en ville. Elle descend de la voiture et Daanish l’attend au volant tandis que Noorie reste sagement attachée à l’arrière. Un SUV noir apparaît à cet instant dans son rétroviseur. Daanish reconnait immédiatement les dangereux terroristes à son bord et les prend discrètement en chasse. Mais les terroristes le repèrent. Des coups de feux sont échangés. La petite Noorie reçoit une balle perdue et meurt peu après à l’hôpital. Daanish est dévasté. Ruhana hurle reprochant à son mari la mort de sa fille.
Peu après l’enterrement, l’unité de Daanish repère la planque des terroristes. Il n’aurait pas dû faire partie de l’opération, mais il part seul, lourdement armé, déterminé à se venger. Sourd aux ordres qui exigent de les attraper vivants, il tire sans discernement, faisant s’abattre une pluie de balles sur les terroristes qu’il élimine les uns après les autres.
À la suite du massacre, il est suspendu sous un prétexte médical. Ruhana le chasse de son foyer. Sa petite fille adorée est morte. Daanish est désespéré. Il se rend sur la tombe de Noorie et se prépare à se mettre une balle dans la tête…
En moins de 20 minutes, nous avons assisté à la vengeance du héros et à la punition des méchants, au bonheur idyllique et au malheur absolu de la perte d’un enfant. Le film pourrait presque s’arrêter là, mais ce n’est en réalité qu’une longue introduction à deux personnages fracassés par les événements : Daanish le policier et Omkar Nath (Amitabh Bachchan) le joueur d’échecs cul-de-jatte. Étrangement, la véritable intrigue de Wazir n’a que peu de rapport avec son début trépidant. Il nous reste heureusement encore environ 1h30 de vrai film, mais son rythme est tellement plus lent qu’on pourrait presque se sentir floué.
Vidhu Vinod Chopra à qui l’on doit comme producteur, et parfois scénariste, des succès aussi importants que PK, 3 Idiots ou Munna Bhai MBBS a construit en réalité un film sur la manipulation. Et nous sommes bien sûr les premiers manipulés. Nous avions cru que Wazir était un film d’action testostéroné, ce n’est pas tout à fait le cas. La présence de John Abraham dans une apparition minimaliste que n’aurait pas reniée John Rambo pourrait rassurer les amateurs de sur-hommes invincibles. Mais là encore, ce n’est qu’un leurre. Le véritable héros est un vieil homme handicapé qui se déplace en fauteuil roulant électrique.
Le film repose en grande partie sur la métaphore des échecs [1] : les pions partent à l’assaut du roi adverse, des pièces sont sacrifiées, le véritable but de certains coups n’apparaît que bien plus tard, le vizir pourrait à lui-seul remporter la partie etc. On comprend dès le début que nous sommes dans un jeu de faux-semblants dont l’issue est la mort. Mais de qui ? Omkar Nath le gentil vieillard estropié ? Yazaad Qureshi (Manav Kaul) son ennemi juré ? Le mystérieux vizir (Neil Nitin Mukesh) ? Daanish peut-être, le pion qui semble avoir tellement de difficulté à déchiffrer la situation ?
Malheureusement, faire partager la richesse et la complexité des échecs au cinéma est probablement impossible. Le temps manque pour expliquer ses règles et laisser entrapercevoir sa profondeur. Ce ne serait pas un problème si le jeu n’avait pas une telle importance dans Wazir. Il est omniprésent à l’écran et toute la symbolique tourne autour des pièces qui peuplent les 64 cases. Pour ajouter à la difficulté, le spectateur occidental peut difficilement appréhender sans explication le personnage central du vizir qui correspond à celui de la reine dans notre version des échecs [2].
Tout à leur fascination pour leurs personnages, les auteurs nous infligent un nombre incalculable de « mat en un coup » présentés comme autant de coups de génie. Ils ne s’embarrassent pas plus de vraisemblance et il faut être bon public pour croire à cette histoire et à ses ramifications. Ils comptaient peut-être sur un montage efficace pour qu’on n’ait pas le temps de se poser de questions. Mais même le timing met la puce à l’oreille des plus crédules. Comment se fait-il par exemple que le mystérieux vizir se montre si tard dans le film ? N’est-ce pas le titre du film ? Les raccourcis sont également saisissants. Qui peut gober que les autorités tolèrent qu’un policier suspendu pour avoir fait un véritable carnage mette sur écoute un politicien important dans une région aussi sensible que le Kashmir ? Mais ce n’est qu’un film après tout et pourvu qu’on se laisse prendre par la main, son scénario de vengeance tirée par les cheveux est plutôt plaisant.
Et puis il nous offre un Amitabh Bachchan en très grande forme qui décline sans aucune difficulté toute la palette de son art. Sa voix magnifique fait toujours un tel effet qu’on adorerait que son texte soit à la hauteur. Même le trucage numérique qui fait disparaître ses jambes est absolument parfait. Le vieil acteur attire le regard du spectateur comme un aimant, éclipsant tous les autres protagonistes dans le champ. Farhan Akhtar fait ce qu’il peut pour garder un peu de lumière, mais c’est peine perdue, il est transparent. L’apparition de Neil Nitin Mukesh ne vaut que parce qu’il est confronté au maître. On ne l’aurait pas imaginé, mais la seule qui surnage est Aditi Rao Hydari. Elle n’a presque rien à dire mais elle n’en a pas besoin pour être émouvante. Peut-être parce qu’elle ne cherche pas à s’imposer en face des vedettes masculines du film, c’est finalement ses grands yeux tristes qu’on retient.
Bejoy Nambiar a réalisé Wazir dans un style bien plus conventionnel que ses deux films précédents Shaitan et David. Il n’y a pas ici les ralentis extrêmes ni les plans en caméra subjective qui ont fait sa marque de fabrique. Il s’est mis sagement au service de ses acteurs et de son scénario plutôt que d’apporter le petit grain de folie qu’on lui connait. Les images sont jolies mais sans grande originalité. On pourrait regretter que Wazir semble en définitive un film de commande où le véritable œil derrière la caméra est le producteur, scénariste, monteur et même parolier Vidhu Vinod Chopra.
Il en va de même pour la musique. Le point d’orgue est le magnifique Khel Khel Mein dit par Amitabh Bachchan au moment de la révélation échiquéenne finale. Mais les autres chansons, toutes douces et tristes, sont finalement assez ordinaires malgré la présence d’artistes tels que Shreya Ghoshal et Sonu Nigam. Leurs mises en image nuisent au rythme du film et l’éloignent du thriller haletant qu’il aurait pu être. Même le titre final, Atrangi Yaari, présenté dans le générique de fin comme une forme de making-of ne laisse pas de souvenir.
Wazir est un thriller plaisant où les auteurs jouent à nous manipuler dans une histoire de vengeance compliquée. Il est un peu lent mais passe sans qu’on s’ennuie. Il ne resterait cependant pas en mémoire s’il n’était la prestation formidable d’Amitabh Bachchan. Sorti quelques mois avant Te3n où il tient un personnage finalement assez similaire, ce pilier de Bollywood montre une fois de plus qu’il reste incontournable même à plus de 70 ans.
[1] Omkar Nath joue aux échecs nommés ????? (« shatranj ») en hindi et qu’il ne faut pas confondre avec le chatrang, son ancêtre persan. Dans ce jeu ancien, le roi est protégé par le vizir aussi appelé conseiller ou ministre. Cette pièce, dont le nom en hindi est wazir, ne se déplace qu’en diagonale d’une seule case ce qui la condamne en général à rester au contact du roi.
Le chatrang a évolué vers les échecs modernes et le vizir est devenu la reine. La pièce a gagné en mouvement mais a conservé son nom et sa position symbolique dans de nombreuses langues, dont l’hindi. C’est pourquoi dans Wazir, le vizir représente un personnage masculin très puissant, intimement associé au roi.
[2] La confusion est telle que l’auteur de ces lignes n’a réalisé qu’après coup que le film évoquait bien les échecs modernes tels que nous les connaissons en France.