Yuvvraaj
Publié vendredi 14 novembre 2008
Dernière modification samedi 22 novembre 2008
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Une BO d’AR Rahman est toujours attendue par les fans du compositeur surnommé le Mozart indien, et ce depuis que Mani Ratnam le géant du cinéma indien lui a donné sa chance en 1992 en lui proposant de composer la BO de Roja. Depuis les succès se comptent par dizaines, et le chanteur/compositeur fait souvent salles pleines à ses représentations. Alors qu’il a signé deux très belles BO en 2008 avec Jodhaa Akbar et Jaane Tu Ya Jaane Na, le voilà qui s’associe à Subhash Ghai (Karz, Kisna, Black and White) pour livrer sa partition de Yuvvraaj, un des films les plus attendus de l’année tout simplement.
Le compositeur de talent cite en ouverture la 5ème symphonie de Beethoven sur le morceau Main Hoon Yuvvraaj. Un choix risqué et osé qui donne tout de suite le ton de sa symphonie à lui : quitte à prendre à bras-le-corps l’instrumentalisation autant s’appuyer sur du lourd, autrement dit une mélodie à la fois facilement reconnaissable, et il démontre sa volonté de voir les choses en grand, voire de viser le gigantisme. Salman Khan prête sa voix et s’amuse de son côté bad guy qu’il entonne avec une certaine ironie. 1 min ‘55 top chrono pour nous raconter cela.
Les choses sérieuses commencent avec Tu Meri Dost Hain, chanson sur l’amitié qui va mettre un point d’honneur à placer le violon sur le devant de la scène, ou plutôt de l’opéra. Car Yuvvraaj dans ses grandes largeurs mélodiques, dans ses mélopées se voulant oniriques et poétiques vise une forme de catharsis. AR Rahman, qui est loin d’être un débutant, manie avec hardiesse les instruments à vent et les cuivres et remet également au coeur de la mélodie le violon et le piano. La musique, à la limite de la surproduction, livre sa gamme de tons qu’on jurerait parfois issus de la littérature pastorale. Une fois que Salman Khan a déclamé ses quelques tirades, le disque veut s’envoler dans le lyrisme échevelé en ne ralentissant quasiment pas. En d’autres termes, et peut-être pour la première fois, AR Rahman en fait des tonnes. Ses choix mélodiques ne plairont pas à tout le monde. On imagine sans mal les feuilles balayées par le vent à l’entrée d’une immense bâtisse, les ralentis sur les poses langoureuses, les extraits de BA montrant une Katrina Kaif qui semble très convaincue de son rôle en violoniste improbable, mais qu’importe. Triangle, flûte de pan, et choeurs d’église se joignent à la fête, à la grande bouffe composée.
Le maniérisme continue de plus belle avec Shano Shano dont l’intro, avec un flow hip-hop caricatural accompagné d’une petite boucle de synthé au beat syncopé, peut prêter à sourire. Proche de certaines tonalités africaines (avec le oumbayé), la chanson déroute totalement l’auditeur au fur et à mesure des écoutes. Tandis que le couplet se destine au danceclub, le léger accent tamoul des paroles fait penser à des productions comme Aayutha Ezuthu. Un morceau dance qui tranche radicalement avec le reste dans le sens où il semble remettre en question les compositions qui le précèdent et celles qui vont suivre. Une voix légère se laisse entendre dans le pont plutôt intéressant du morceau, tandis que celle de Sonu Nigam fait dans le basique. On ne le sent pas forcément à sa place. La répétitivité du refrain finit par ne pas emporter le morceau et laisse sur un goût d’inachevé. Certains auditeurs pourront même penser à un remake officieux de Chaud Cacao d’Annie Cordy en poussant le bouchon un peu loin
Cela ne semble en rien entraver la créativité réelle d’un compositeur qui aujourd’hui n’a plus grand-chose à prouver puisqu’ayant déjà permis de transcender des films comme Bombay (1995) ou Kannatil Muthamittal (2002), deux chefs-d’oeuvre qui ont fait grandir le cinéma indien. C’est sans doute aussi après avoir livré des titres aussi inégaux que Tu Meri Dost Hain ou médiocres comme Shano Shano que le compositeur propose Tu Muskura, morceau romantique qui apporte une dimension supplémentaire à la voix suraiguë d’Alka Yagnik, doubleuse attitrée dans les années 90 de Kajol. Il est difficile d’oublier les standards qu’elle a pu interpréter, mais on peut également être réfractaire à ce genre de voix (comme à celle de Lata Mangeshkar tout en reconnaissant qu’elle avait une voix superbe dans les 60-70’s) et lui préférer Shreya Ghoshal, Anushka Manchanda ou Mahalaxmi Iyer. Morceau classique dans le bon sens du terme, avec un petit côté Era, Tu Muskura est une invitation à la déclinaison amoureuse classique du ciné hindi : on imagine le triangle amoureux.
Visiblement décidé à offrir le meilleur de lui-même ou ce qui peut s’y apparenter, AR Rahman nous régale d’un Mastam Mastam inspiré, en mid-tempo, avec une ligne de basse franche et entraînante, un joli accordéon et l’entrain de Sonu Nigam. Les percussions typiques du compositeur se retrouvent ici aussi, avec la belle utilisation de la guitare rythmique acoustique.
Zindagi est aussi une belle petite réussite, morceau mettant lui aussi l’accent sur l’importance de la voix comme source majeure d’émotions. Celle de Srinivas en l’occurrence est très jolie, tout en se distinguant de celles plus affectées de Mohit Chauhan ou Adnan Sami.
Malheureusement le disque ne se referme pas forcément sur le meilleur morceau. Dans une sorte d’emportement généralisé mais ô combien caricatural, la troupe de chanteurs donne de ses poumons mais aussi d’une certaine pose avec Dil Ka Rishta, commençant pourtant fort bien au piano, mais laissant peu de mystère quant à sa façon de surproduire le moindre effet et de le souligner qui plus est.
Par les violons d’abord, par les voix ensuite et ce couplet avec des mots anglais lancés comme des invectives, à la limite du grotesque. A prendre sans doute au second degré. Une extravagganza dont on aurait pu se passer.
Un disque particulièrement difficile à apprécier aux premières écoutes, avec trois morceaux très accrocheurs et un ensemble plus qu’inégal, se situant dans la moyenne mais pas le chef-d’oeuvre que certains auraient pu escompter. Une déception globalement, malgré ça et là des éclairs de génie. On attend le film désormais…