Dear Zindagi
Traduction : Chère vie
Langue | Hindi |
Genre | Comédie dramatique |
Dir. Photo | Laxman Utekar |
Acteurs | Shah Rukh Khan, Kunal Kapoor, Ali Zafar, Alia Bhatt, Ira Dubey, Angad Bedi |
Dir. Musical | Amit Trivedi |
Parolier | Kausar Munir |
Chanteurs | Vishal Dadlani, Sunidhi Chauhan, Arijit Singh, Amit Trivedi, Alia Bhatt, Jasleen Royal |
Producteurs | Gauri Khan, Karan Johar, R. Balki |
Durée | 150 mn |
Après avoir abordé l’émancipation d’une mère de famille à travers des cours d’anglais pour adultes dans English Vinglish, la talentueuse Gauri Shinde — toujours aussi girl power — avait réussi à signer Sharukh Khan et Alia Bhatt pour son second long-métrage, Dear Zindagi (« Chère vie »). À l’annonce de ce combo aussi rafraîchissant que prometteur, les réactions étaient plutôt mitigées. Si certaines voix s’élevaient pour dénoncer la différence d’âge entre les comédiens, d’autres avaient entièrement confiance en la capacité de Gauri à contourner les travers du cinéma bollywoodien pour livrer une œuvre personnelle, en accord avec son style.
Avant d’aborder mon expérience de cinéphile sur Dear Zindagi, sachez que j’ai été agréablement surpris par Gauri Shinde qui est restée fidèle à elle-même, autant dans l’approche que dans l’exécution. Le film est résolument optimiste et pose des questions essentielles sur la condition féminine (oui, il en reste des tonnes à poser, même en 2016).
On peut sommairement résumer Dear Zindagi comme un film sur la « crise du quart de vie », mais ce serait assez réducteur, car sa réalisatrice y développe une multitude de thèmes, comme les relations parent-enfant et patient-médecin, ainsi que la fragilité du statut de femme célibataire dans la société indienne. Tout cela autour du fonctionnement et de la composition d’un personnage haut en couleur, Kaira, alias Koko pour les intimes.
Dear Zindagi traite de la période charnière de la vie d’une apprentie chef-opérateur qui aspire, très prochainement, à faire carrière dans l’industrie du cinéma indien (rien que ça !). Jeune, belle et indépendante, Kaira est pleinement reconnue dans son métier, pour son talent ; et côté privé, elle peut compter volontiers sur une bande d’amis fidèles qui est toujours là pour elle. Cependant, sa vie amoureuse demeure chaotique et d’une histoire de cœur à l’autre, l’issue est presque toujours la même : la rupture. Lui aurait-on jeté une malédiction ? Est-elle tout simplement frivole (comme elle finit par se le demander à un moment) ? Ni l’un, ni l’autre. Kaira souffre d’un mal-être profond qui la ronge de l’intérieur, au point de la pousser à saboter ses relations. Quelle est la raison de cette dépression ? Et pourquoi cette volonté de se saborder ? Dear Zindagi suit le parcours de la jeune citadine, de Bombay à Goa, en quête de compréhension, de guérison et surtout de bonheur… Va-t-elle finalement se réconcilier avec elle-même ? Et changer sa vision négative de sa (chère) vie qui a tant à lui offrir ? Ce sont les quelques interrogations posées par Dear Zindagi pour effleurer un sujet plus vaste, la dépression de toute une génération, tellement affairée à courir derrière la réussite professionnelle et sociale qu’elle en oublie l’essentiel : le bien-être mental.
Gauri Shinde poursuit avec Dear Zindagi son diptyque sur la condition de la femme indienne, qu’elle avait entamé en tournant le très bon English Vinglish. Vu la réussite du premier film, et la qualité du second, on espère une trilogie, et pourquoi pas une filmographie entière consacrée à la place de la femme dans la société indienne. Il est regrettable que le cinéma indien ne mette pas assez la gente féminine à l’honneur (derrière, comme devant la caméra), et de ce fait, c’est réjouissant de voir un acteur de premier plan, comme Sharukh Khan, s’associer à ce projet, en se prêtant au jeu du caméo étendu (on peut même dire que c’est un excellent second rôle).
On ne peut qu’être élogieux devant cette initiative et devant l’engagement de Gauri Shinde, mais que vaut réellement Dear Zindagi comme œuvre cinématographique, au-delà de son noble propos ?
Le film se compose de deux parties, assez inégales, avec deux moments importants, la rencontre de Kaira avec son futur psy, le docteur Jehangir Jug Khan (juste à l’entracte) et enfin, le point d’orgue du récit, lorsque la jeune femme finit par se dévoiler et découvrir le traumatisme à l’origine de son marasme.
La première moitié de Dear Zindagi est pensée comme une comédie douce-amère sur les déboires amoureux de Kaira et sur son rapport compliqué à la vie, voire conflictuel. Néanmoins, cet acte s’avère assez pénible et difficilement supportable à cause du manque d’humour, de rythme et de la lourdeur du schéma assez répétitif. Kaira boude, rompt, picole, s’éclate avec ses potes, est en colère, cherche des poux à Raghuvendra et rebelote… Je me demandais même si on n’allait pas avoir droit à une adaptation indienne d’Un jour sans fin… D’ailleurs, l’image et le son qui habille cette partie du film, plutôt urbaine, ont été habilement pensés. Le ton de la photo est de préférence artificiel sur les nombreuses scènes tournées en intérieur (l’appartement de Kaira et les boîtes de nuit). On note aussi l’utilisation des morceaux rock et électroniques comme Just Go To Hell Dil et Lets Break Up pour illustrer la déprime du personnage.
Vous l’aurez compris, je n’ai absolument pas supporté les défauts du premier acte, qui m’a fait énormément penser à Sex and the City (pour l’esprit et le ton) en étant bien sûr moins trash, sensibilité du spectateur indien oblige. Mis à part la récurrence des séquences, l’écriture assez brouillonne et l’accumulation des clichés autour de la vie quotidienne d’une femme indienne indépendante (délurée, perdue, dépressive, etc…) — qui m’ont agacé au plus haut point —, je dois au moins reconnaître à cette portion du film, un ton décomplexé qui fait cruellement défaut à Bollywood. De nombreux sujets, comme la sexualité, restent encore tabous de nos jours, et j’ai apprécié la façon culottée dont Dear Zindagi en dégomme quelques-uns. J’aurais juste aimé un brin de second degré et quelque chose de plus caustique que pathétique, dans l’attitude de Kaira. On n’accroche, ni au personnage, ni au cadre urbain de Bombay, assez déprimant et à peu de choses près, oppressant. Mais c’était peut-être l’effet recherché par la réalisatrice, en nous plongeant dans la vie et la tête de Kaira…
Heureusement le calvaire prend fin lorsqu’elle est contrainte de retourner à Goa, où elle croise le chemin de Jehangir Khan, alias Jug. Cette seconde partie est en revanche, très bien écrite, et elle repose quasi-intégralement sur l’alchimie entre les deux acteurs qui sont tout bonnement excellents ! Cette embellie est également perceptible avec une mise en image lumineuse qui flatte les décors verdoyants et exotiques de Goa. C’est aussi bien plus joyeux qu’à Bombay, côté musique, avec des ballades assez pop comme Taarefon Se et Tu Hi Hai.
C’est un véritable plaisir de les voir se donner la réplique ; et l’évolution de leur relation de patient-médecin au fil des consultations est, d’une part, mise en scène de manière inspirée et constitue — d’autre part — l’élément-clé du récit, sur lequel repose le dénouement. Leur complicité désarme progressivement Kaira, dont l’épaisse carapace, faite de cynisme et de négativité, finit par se fissurer : les effets concrets des séances d’introspection de Jug se font rapidement ressentir dans sa vie familiale et amoureuse.
De mon point de vue, après le problème d’une première moitié assez indigeste, il y a celui de l’attraction principale de Dear Zindagi, la magie du duo Kaira-Jehangir, qui, reconnaissons-le, fonctionne à merveille, mais éclipse par moments le sujet principal de cette seconde partie : la surprenante thérapie comportementale du docteur Jug. On croirait presque que l’épisode de Bombay est volontairement ennuyeux pour préparer l’entrée en scène de Sharukh. De manière inconsciente, le film s’efforce, coûte que coûte, de lier le rayonnement du personnage de Kaira à son interaction avec Jehangir Khan. C’est un curieux procédé, d’autant plus que la jeune héroïne a carrément la moitié d’un film pour elle. L’avoir rendue dépendante, d’une certaine façon, du docteur joué par Sharukh Khan, pour lui donner de l’importance, est assez injuste, surtout qu’il s’agit d’un film qui est centré sur elle. Est-ce que la présence de la plus grande star du cinéma hindi au casting a conduit la réalisatrice à revoir son écriture ? Peut-être, ou l’alchimie entre les deux comédiens l’a aussi emballée que nous, au point de vouloir étendre l’extraordinaire présence de Sharukh Khan et rendre son rôle crucial.
Le flair et le travail de direction d’acteurs de Gauri ont certainement contribué à la qualité de l’interprétation et des échanges entre Alia Bhatt et Sharukh Khan, mais il faut aussi reconnaître leur immense talent dans un film atypique pour le cinéma bollywoodien. Les deux stars sont à des moments différents de leur vie d’acteur, et chacun a pu prouver, par sa prestation, qu’il est bien plus que les stéréotypes qui l’entourent.
Tout d’abord, Alia Bhatt est totalement habitée par le rôle de Kaira. Elle est, tour à tour, grinçante, craquante, drôle et émouvante. L’actrice livre une copie parfaite, avec un jeu impeccable. Contrairement à ses pairs, elle a toujours cherché à jongler entre des films exigeants et des divertissements grand public. Sans aucun doute Dear Zindagi s’inscrit aux côtés de ses autres expériences dans le cinéma dit parallèle de l’industrie de Bollywood, comme Udta Punjab et Highway. Je dirais même que la justesse d’Alia dans le rôle de Kaira est en grande partie due à cette proximité qu’elle partage avec son personnage, étant donné leur métier et leur âge. On peut citer de nombreux passages du film où elle est géniale, mais ne souhaitant pas éventer davantage l’intrigue, je vous mets juste au défi de ne pas être atteint par la bouleversante scène finale où elle excelle — tout simplement. Sans être larmoyante, elle laisse parler sa sensibilité et parvient sans le moindre mal à toucher notre corde sensible. Je n’étais pas convaincu par Alia Bhatt que je rangeais, trop facilement, aux côtés des petites starlettes du moment, mais Dear Zindagi m’a démontré toute l’étendue de ses capacités et elle est incontestablement la meilleure actrice de sa génération.
Ensuite, nous avons ce vieux briscard de Sharukh Khan qu’on n’attendait pas du tout là, et surtout dans ce genre de rôle, à la fois de mentor et de confident. Je ne sais pas pour vous, mais je trouve que l’acteur s’est un peu perdu depuis My Name is Khan, et mis à part quelques bonnes surprises comme Don 2 ou Chennai Express, on a beaucoup de mal à retrouver cet interprète qui était capable de transcender son public. Bien sûr, l’aura de la star est intacte et on ne peut s’empêcher de l’applaudir dès son apparition à l’écran… Mais qu’est devenu l’acteur ? Tout simplement emprisonné dans le personnage du grand romantique, au regard de braise, qui ouvre ses bras à l’héroïne, avec une posture et une gestuelle désormais cultes à Bollywood. Dear Zindagi fait partie de ses efforts pour casser cette image, assez tenace, et amorcer enfin la prochaine phase de sa carrière d’acteur (maintenant cinquantenaire). Ce postulat avait déjà été évoqué dans son film précédent, Fan, où Sharukh Khan se mettait pratiquement en scène, dans un double rôle qui dressait un état des lieux de son métier et de son rapport avec ses fans.
Avec Dear Zindagi, le comédien embrasse à nouveau sa profession, en privilégiant la qualité du personnage, au détriment de la tête d’affiche qu’il laisse à sa partenaire à l’écran, Alia Bhatt. Cela peut paraître curieux, comme analyse, d’un point de vue occidental, mais en Inde un acteur est avant tout considéré comme un héros et il est inconcevable qu’il puisse jouer les seconds couteaux. Sharukh Khan incarne le docteur Jehangir Jug Khan avec conviction et beaucoup d’humanité. La bienveillance de Jug nous rappelle fortement celle de Kabir Khan, l’entraîneur de l’équipe féminine de hockey dans Chak De ! India. C’est assez étonnant de ne pas retrouver les habituels tics du comédien dans un jeu qui privilégie le naturel, la spontanéité et l’humour. Sharukh accomplit l’exploit de rendre sa présence, non pas exaltante, mais apaisante pour Kaira — et aussi pour nous. Son impertinence, sa gentillesse, son humour, mais aussi son éthique et sa gravité lorsqu’il a besoin de rétablir cette distance respectueuse entre eux, font de lui un de ses meilleurs rôles depuis justement Chak De ! India.
L’attente était énorme autour de Dear Zindagi, après le succès surprise d’English Vinglish, et à la question de savoir si Gauri Shinde a confirmé tous les espoirs placés en elle, avec des renforts de poids comme Sharukh et Alia… La réponse est oui ! Hormis quelques accrocs sur la première partie, et la prépondérance du personnage de Jehangir Khan en seconde partie, la réalisatrice est restée irréprochable sur la mise en scène et le contenu de son film.
Malgré le genre, qui aurait pu donner lieu à des leçons de vie pompeuses, le ton n’est ni condescendant ou moraliste.
Le passage en revue des différents aspects et épisodes, de la vie personnelle de Kaira, permet à la réalisatrice de mettre en lumière, quelques-uns des maux de la société indienne moderne, qui rongent tout particulièrement, la classe moyenne aisée dont l’héroïne est justement issue. Peur de l’abandon, de l’échec amoureux, de l’engagement, ou seulement d’être heureuse… Les angoisses de Kaira ont tellement de visages et la tourmentent depuis si longtemps, qu’il lui est clairement impossible de les surmonter seule.
Une partie de la solution réside peut-être dans ses rapports familiaux, mais comment solliciter ses proches et espérer leur soutien, lorsque toute communication est tronquée… En Inde, la figure parentale est tellement déifiée qu’elle est intouchable. Un enfant est littéralement écrasé sous le poids de la reconnaissance et toute remise en question de leur éducation serait un acte d’ingratitude. Une fois de plus, Gauri Shinde vise juste, avec des scènes de réunion familiale, où tout parait aller pour le mieux en façade, mais un malaise plane constamment sur ces moments, à cause des non-dits qui sont pesant. S’il n’est pas convenu d’aborder ses problèmes avec ses parents, au risque de perturber l’équilibre familial, vers qui se tourner ?
Là encore, on reconnait le sens de l’humour et l’esprit critique de Gauri qui utilise le terme de braindoctor pour désigner le métier de psychiatre. Cette référence fait écho au profond scepticisme et à une méconnaissance générale de cette spécialité médicale, dans la société indienne. Un patient indien ayant recours à un psy, est presque toujours considéré comme « dérangé » et les consultations font l’objet de moqueries… pire, quand il s’agit d’un proche, c’est même l’incompréhension. Cette dépréciation générale du domaine, pousse souvent les personnes à ne pas consulter ou ne pas l’assumer devant leur famille (comme Kaira). Avec Dear Zindagi, la réalisatrice milite à sa façon pour la réhabiliter et améliorer la compréhension de cette fameuse consultation, trop souvent dénigrée et jugée inutile.
Les échanges entre les personnages et leurs dialogues participent grandement à l’alchimie entre les personnages et de ce fait, au succès de Dear Zindagi. C’est drôle, percutant, spontané, véridique, bien pensé, plein de bon sens et terriblement efficace. On ne peut pas tous les citer, mais le talent d’écriture est tel que je suis convaincu que chacun d’entre vous, trouvera une citation qui lui correspond. Pour ma part, c’est la métaphore de la chaise, désignant l’amoureux de Kaira, qui m’a bien fait rire.
Voici quelques-unes des citations que j’ai aimé :
Il y a aussi cette scène surprenante, où Kaira se soucie du qu’en-dira-t-on, à propos de son mode de vie moderne (mœurs libérées, liberté sexuelle et de parole). Elle s’interroge : « On va me prendre pour une trainée ? Et penser que je suis une fille facile ? Parce que je passe d’une relation à une autre… » Ce passage intervient alors qu’on la pensait jusque-là libérée des conventions de la société indienne et assumant ses propres positions.
Certes le film raconte une simple histoire de dépression et de thérapie, mais il en profite aussi pour aborder des thèmes aussi essentiels qu’actuels. Film antidépresseur et farouchement positif, Dear Zindagi prône l’idée de s’apaiser en s’aimant et en se réconciliant avec son enfant intérieur. Gauri Shinde nous livre des personnages saisissant et dépeint de manière réaliste cette relation de patient-médecin, où la limite entre éthique et attachement, est très imprécise. Avec une Alia Bhatt maitrisant parfaitement sa partition et un Sharukh Khan au naturel, Dear Zindagi est aussi un film d’acteurs qui offre des jolis moments de complicité. Après English Vinglish, au milieu du concert de louanges des critiques, certains observateurs relevaient que la réalisatrice était très, voir trop influencée par l’école Balki (son réalisateur de mari à qui l’on doit notamment Paa et Cheeni Kum). Avec Dear Zindagi, Gauri Shinde prouve qu’elle a finalement trouvé sa patte artistique et s’est définitivement émancipée de son mari Balki, en confirmant son style et son engagement social.