Desi Boyz
Traduction : Garçons indiens
Langue | Hindi |
Genre | Comédie |
Dir. Photo | Natarajan Subramaniam |
Acteurs | Sanjay Dutt, Akshay Kumar, John Abraham, Anupam Kher, Deepika Padukone |
Dir. Musical | Pritam Chakraborty |
Paroliers | Amitabh Bhattacharya, Irshad Kamil, Kumaar |
Chanteurs | Mika Singh, KK, Sonu Nigam, Harshdeep Kaur, Shilpa Rao, Shaan, Neeraj Shridhar, Shefali Alvares, Bob, Bohemia |
Producteurs | Krishika Lulla, Jyoti Deshpande, Vijay Ahuja |
Durée | 122 mn |
Lors de mon récent séjour en Inde du Nord, l’opportunité nous a été offerte par l’agence touristique, d’assister à une séance de cinéma « Bollywood ».
Dès lors, cette étape devint incontournable à mes yeux, au même titre que la traversée du Gange, ou la visite des temples Jaïns de Ranakpur. Ou quand la culture populaire croise Histoire et spiritualité dans un même élan.
Me voici donc en cette fin d’après-midi du 25 novembre, parcourant les grouillantes et interminables rues commerçantes de Jaïpur à l’arrière d’un cyclo-pousse, en direction du Raj Mandir, la célèbre salle de la ville. Guettant l’apparition de la façade au détour de chaque rue, j’imagine surgir la silhouette de Ra.One ou le visage de Rockstar, les affiches de ces deux films ayant maintes fois été aperçues ces derniers jours.
Le revers de la médaille du programme étant qu’évidemment, je ne sais pas ce que je vais voir, dépendant de l’actualité des sorties du moment.
Aussi, quand apparaît enfin l’imposant fronton kitsch et lumineux, émotion et déconvenue se mêlent. D’un côté, je suis arrivé à ce qui sera une étape importante de ma vie de cinéphage. De l’autre, l’amateur de cinéma de genre que je suis ne peut qu’être désappointé à la vue d’une belle plante entourée de deux éphèbes au torse glabre et musculeux. Assurément pas ma tasse de thé (!), mais au diable, je suis aussi venu pour le côté musical, et plonger dans le bain d’une séance « à l’indienne ». Et la vision du film, et surtout l’ambiance pendant la projection, vont définitivement faire tomber toutes mes réticences.
Desi Boyz donc. Ou quand la crise qui frappe de plein fouet notre monde déboussolé va s’abattre sur deux amis de la diaspora indienne de Londres.
Le premier, Nick (John Abraham), est directement impacté, puisque licencié, pour cause de récession, d’une des sociétés de la City londonienne. Le second, Jerry (Akshay Kumar), est renvoyé, au même moment, de son job de gardien de centre commercial, pour avoir laissé fuir un ado qui avait chapardé un accessoire de skateboard qu’il ne pouvait s’offrir.
Nos deux colocs sont alors aux abois. Le premier venait de demander sa copine (Deepika Padukone) en mariage, celle-ci extrapolant déjà sur la cérémonie et le futur voyage de noces. Le second se retrouve au pied du mur, puisque devant subvenir aux besoins du gamin dont il a la charge (son fils ? je n’en suis pas sûr, dialogues en hindi obligent).
Survient alors une proposition inattendue, travailler comme escort boy pour la boîte Desi Boys, tenue par un bon bougre tatoué (Sanjay Dutt). Tenir compagnie aux épouses délaissées, ou animer les soirées Prom Night, seront au menu. Jerry n’hésite pas une seconde, son ami réticent va finir par le suivre. Une seule condition : ne pas coucher avec les clientes. Bien entendu cela devra rester secret pour l’entourage. Mais une telle activité ne peut rester longtemps cachée. Les Affaires Sociales de la ville retirent à Jerry la garde du gosse. La fiancée de Nick annule leur mariage. Les deux amis se séparent…
A priori, nous voici donc embarqués dans une de ces comédies romantiques dont le cinéma a le secret. Tout est réuni pour faire rire et sourire aux tribulations de nos deux compères pas vraiment grandis.
Mais nous sommes en Inde, et là où, je pense, les Américains s’en seraient tenus à un déroulement linéaire tournant autour de l’histoire des escort boys (avec du gros comique qui tache ?), le film effectue un virage à 180° après l’"intermission". Là, plus question de mecs torse nu, place à deux nouvelles intrigues suivies en parallèle. Toujours de la comédie, avec les stratagèmes de Nick pour reconquérir sa dulcinée, aidé par un ex-futur beau-père complice. Et surtout du mélo, avec Jerry qui se réinscrit à l’université, dans l’espoir qu’un diplôme lui permette de reprendre la main sur le jeune membre de sa famille. Là, il va s’enticher de sa prof d’économie.
Et comme on rebondit en plein sur un sujet d’actualité, cette fameuse crise, les événements n’en prennent que plus de valeur. Du « trois en un » qui fait du bien, permettant de brasser un tas de sujets et d’ambiance. De l’insertion professionnelle des Indiens dans la société occidentale, aux relations familiales et filiales, en passant par le respect de traditions au contact de l’évolution des mœurs. Tout passe comme lettre à la poste, aidé en cela par un scénario dense et fluide, ne ménageant pas sa peine en rebondissements.
On a droit à des moments de franche drôlerie. L’entretien d’appréciation du mâle Jerry qui doit donner ses mensurations, et se choisit comme pseudo… Rocco ! (ce prénom dit-il quelque chose au public local ?!). La scène de striptease de la professeur pendant les révisions, chaque réponse correcte donnant droit à l’enlèvement d’un vêtement. Et surtout la séquence de l’entretien d’embauche dans la boîte de trading, virant au simulacre de harcèlement, dans le but de faire fuir tous les golden boys cravatés attendant leur tour dans le couloir, tel du bétail se rendant à l’abattoir. Un instant hautement jouissif, vengeance contre tous ces clones en costard vouant leur vie au dieu dollar.
Et l’émotion ne manquera pas de montrer le bout de son nez à chaque apparition du gamin, franchement craquant. La scène de la fête scolaire des pères, dans laquelle le speech de Jerry se clôt sur un émouvant "I love you", ne peut que faire poindre une petite larme sur les joues des plus sensibles.
Pour étaler toute cette palette d’émotions, il fallait un casting à la hauteur. Ici c’est bien le cas, la direction d’acteurs est vraiment au top.
Concernant les rôles principaux, je ne m’attarderai pas sur John Abraham, il est beau, il bouge bien son corps, en joue et tant mieux pour lui. La vraie surprise pour ma part, c’est Akshay Kumar, faisant apparaître une véritable sensibilité derrière un physique à priori banal. Je le connaissais peu et ne manquerai pas de faire plus attention à lui la prochaine fois.
Quant à Sanjay Dutt, au visage cerné et fatigué, en gros mastard aux bras tatoués, il m’a bien éclaté, son rôle étant loin du caméo annoncé. Il apparaît dans une bonne poignée de séquences, toutes importantes à la progression de l’intrigue. Et chacune de ses interventions face aux autres personnages est un régal de confrontation.
Pour ce genre de film, il ne faut évidemment pas s’attendre à de la "grande" mise en scène, et ce sera ici le cas. Après un générique bien enlevé, images d’actualité s’entrechoquant (même Batman et Spider-Man sont à la rue !), suivies de la présentation "trop stylée" de nos deux héros, on aura droit à un cinémascope purement fonctionnel, qui passera sans problème la barrière du petit écran. Il met au moins en valeur les nombreux décors traversés, alternance d’extérieurs londoniens et d’intérieurs dans l’air du temps. Une mention au loft de Jerry, coloré et surchargé en accessoires pop : couette Wonder Woman, tableau à la Andy Warhol, affiche de comics, arcade de jeu vidéo… ce qui n’est pas pour déplaire au fana de culture pop que je suis.
Ce sera donc le montage et la musique qui assureront le rythme du métrage. Et là on pourra compter sur eux.
La bande son donc, hyper-vivante, nous propose une musique véritablement entraînante. De vraies rythmes pop-rock à l’indienne, non parasités par les influences r&b trop de mise ces derniers temps (entendre la bo de 7am Arivu, par exemple). A cet égard, l’utilisation des vocalises féminines pour contrebalancer les voix masculines transportera d’aise l’amateur. Du tout bon, qui gagne à être réécouté.
Et pour les clips, on en aura droit à quatre. Deux extrapolations hypertrophiées de la mise en avant de la virilité du mâle, que n’auraient pas reniées les Chippendales. Dans des accoutrements dignes des Village People, nos deux acteurs s’en donnent à cœur joie, livrant leur anatomie musclée à une horde de nanas en furie. Ah ce symbole phallique de la lance à incendie pointée vers les flammes ! Un pur régal de dérision, esthétiquement léché. Le troisième clip est une parade amoureuse, à base de cow-girls en short et de joueurs de cornemuse en kilt ! Dansant avec ses instrumentations variés. Et le dernier, le plus beau à mon avis, est une déclaration d’amour dans le cadre de l’université, des dizaines de figurants en fond, mimant en parfaite harmonie les gestes de la vie étudiante. Un grand moment appelant des réminiscences d’une scène du The Wall de Alan Parker. Un ensemble de morceaux chorégraphiés dans lesquels on pourra malheureusement regretter l’absence de danseurs d’origine indienne.
Tout ça tient en deux petites heures (s’alignerait-on sur les standards internationaux ? snif). C’est dire si l’on n’a guère le loisir de souffler. A se demander à quoi sert maintenant l’entracte, si ce n’est à faire consommer, comme en Italie (je conseille d’ailleurs les samossas aux légumes épicés !).
Au final, vous l’aurez compris, ne surtout pas s’arrêter à une affiche et une accroche dignes d’une couverture de magazine people, on a affaire à une vraie bonne comédie romantique (et c’est un mec qui parle…).
En ces temps d’ouverture au monde, pas toujours pour le meilleur, une alternative vivifiante à la morale éternellement wasp des modèles ricains. Pas de cynisme de façade, pas de message lourdingue, le film égrène des valeurs simples, avec humour, sans vraiment d’illusion face à un consumérisme galopant.
Voilà, tout serait dit, si ce n’est qu’en plus, j’ai bien vu ce film dans la salle du Raj Mandir. Et là, tout est multiplié par dix, voire cent. Le public, riant, hurlant, explosant de joie, fait vibrer l’atmosphère à l’unisson. On se prend à applaudir l’apparition de la silhouette de Sanjay, ou la réplique patriotique d’un personnage à l’encontre de ses racines. Une expérience inoubliable, écrasant celle déjà ressentie à Pantin au milieu de spectateurs tamouls. On finit le sourire aux lèvres, esquissant un pas de danse pendant le générique de fin.
Merci les Indiens, de croire encore à la magie du cinéma. Oui, des lumières qui s’éteignent, un rideau qui se lève devant un écran qui s’illumine, c’est et cela restera magique !
PS : Le film est classé A en Inde (réservé aux adultes), à cause de l’évocation de la prostitution masculine, bien que ce soit vraiment une œuvre tout public. Alors, que faisaient là tous ces enfants… et le bébé que j’ai entendu pleurer pendant la projection ?! Mais tant mieux pour eux.