Interview (I) de Martine Armand et Hubert Laot, créateurs de l’Eté indien
Publié samedi 27 septembre 2008
Dernière modification mardi 3 mars 2015
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Hubet Laot est le responsable de l’auditorium du Musée Guimet. Son rôle est d’y organiser des spectacles, des conférences, des festivals de cinéma, le plus souvent rattachés à l’actualité du musée des arts asiatiques et à ses expositions temporaires.
L’Eté indien fait exception : ce festival est annuel et n’est pas porté par une exposition, il doit vivre par lui-même et s’il persiste, pour la 5ème année consécutive, c’est parce que les amateurs de cinéma indien sont fidèles à ce rendez-vous. C’est aussi parce que ses programmateurs, Hubert Laot et Martine Armand, ont su trouver les thèmes, les films, une qualité de programmation renouvelée chaque année, qui a su convaincre les passionnés de revenir, d’en parler autour d’eux, de faire vivre l’été indien.
Martine Armand est une des rares spécialistes françaises du cinéma indien, elle a travaillé avec Satyajit Ray et d’autres cinéastes fameux en Inde, elle contribue à de nombreux festivals et rétrospectives en France.
Elle animait ce mercredi 10 septembre une conférence sur le cinéma hindi où elle a mis en perspective les films projetés cette année et les principales époques du cinéma hindi au travers de ses plus grandes stars.
Cette conférence a offert aux 210 personnes présentes un joli panorama émaillé d’éléments biographiques des acteurs, réalisateurs, producteurs, et d’extraits de films : Kabhi Khushi Kabhie Gham pour illustrer le glamour, les générations de stars superbes de 20 à 60 ans, la dextérité de la mise en scène du cinéma populaire actuel ; Dil Se et ses questions sur le terrorisme ; Devdas et le talent de danseuse de Madhuri Dixit, Raincoat puis Fire pour illustrer le cinéma intimiste. Le charme des anciennes générations était bien présent avec de superbes extraits : Bombay Talkies avec Shashi Kapoor interprétant son propre rôle de star, la bande-annonce de Sholay, le célébrissime ‘western curry’, Guru Dutt en jeune homme intimidé dans Sahib Bibi aur Ghulam, Mr & Mrs 55 avec la légendaire Madhubala qui apparaît dans la pénombre où l’on devine les contours très purs de son visage, la bande-annonce dramatique d’Andaz et enfin Awara, avec Raj Kapoor dans son rôle préféré de vagabond chaplinesque, dans une de ses chansons les plus célèbres "Awara hoon", déambulant dans les quartiers pauvres de la ville… Autant de fragments pour nous mettre en appétit, qui témoignent de l’âge d’or du cinéma populaire hindi et de ses stars merveilleuses, mises en écrin par un magnifique noir et blanc.
A l’issue de cette conférence, nous avons pu rencontrer Hubert Laot et Martine Armand pour en savoir plus sur cette programmation 2008, l’évolution de l’Eté Indien, et… les coulisses de l’exploit. Car les spectateurs ne se doutent pas de l’aventure que représente chacun des films qu’ils peuvent apprécier, confortablement installés dans un fauteuil de l’auditorium…
*** Stars du cinéma hindi : la programmation 2008
Quel était votre objectif avec cette programmation de l’Eté indien 2008, dont le titre est « Stars du cinéma hindi » ?
Nous voulions répondre à la demande du public sur le cinéma populaire. On a beaucoup entendu le terme de Bollywood ces dernières années, nous voulions décoder les ingrédients, les codes, mettre en lumière les grands noms, en remontant jusqu’aux années 50, mais sans chronologie, plutôt en partant des œuvres les plus connues du public français (Kabhi Khushi Kabhie Gham, Devdas) et des stars les plus connues, Shah Rukh Khan (présent aussi dans Maya et Dil Se), Aishwarya Rai (présente aussi dans Raincoat), Amitabh Bachchan (présent aussi dans Sholay), pour aller vers des œuvres plus rares, moins connues, mais elles aussi éclairées par de grands réalisateurs-stars (Raj Kapoor, Guru Dutt) et des légendes de l’âge d’or : Madhubala, Waheeda Rehman, Nargis, Meena Kumari.
Pourquoi avoir ouvert l’Eté indien avec le film Guide ?
C’est un hommage à Dev Anand que j’ai eu la chance de rencontrer (Martine Armand). Un homme merveilleux, à la fois acteur, producteur, réalisateur, qui depuis les années 60 traverse le cinéma indien avec un regard précurseur, très ouvert, visionnaire même. Guide est sorti en 1965 en deux versions, l’une hindi, l’autre anglaise. Nous avons montré la version hindi car pour Dev Anand, c’est la plus réussie. Ce film est peu connu en France, il n’a jamais été distribué commercialement, pourtant c’est un des incontournables du cinéma hindi, c’est une quintessence de cinéma hindi, avec un côté populaire sans être vulgaire, et une dimension spirituelle. Guide est aussi une performance de Waheeda Rehman, elle aussi une très grande dame, amie de Dev Anand et de Guru Dutt, qui a tourné également avec Raj Kapoor. Guru Dutt et Raj Kapoor font partie de l’histoire, décédés depuis longtemps. Mais Dev Anand et Waheeda Rehman sont toujours là, ils travaillent toujours. Malheureusement nous n’avons pas pu utiliser la copie restaurée de Guide montrée à Cannes. Mais nous nous sommes donnés beaucoup de mal pour projeter le film dans de bonnes conditions, nous l’avons même sous-titré nous-mêmes en français.
*** De 2004 à 2008, les enseignements tirés de 5 ans d’expérience
Qu’est-ce qui anime l’Eté indien ?
La raison d’être de l’auditorium, c’est de compléter les expositions du Musée Guimet par la présentation d’autres formes artistiques. L’Eté indien est mis au service d’une forme artistique propre à l’Inde, qui mêle la danse, la musique et le cinéma, qui lui-même tire son inspiration des grandes épopées mythologiques comme le Mahabharata. L’esprit de l’Eté indien, c’est donc l’imbrication de films, de spectacles, de conférences qui permettent de mieux comprendre les racines et les différentes facettes de ce cinéma. Notamment, pour nous, c’est important de montrer des spectacles de danse et de chant classique, qui sont à l’origine des chorégraphies du cinéma hindi. Chaque édition de cet Eté indien offre un visage différent de ce cinéma : l’an dernier, le thème était historique, avec des films qui illustraient les bouleversements sociopolitiques de l’indépendance de l’Inde. Cette année, le thème est plus glamour, « stars du cinéma hindi », car le public a exprimé clairement un réel penchant pour cet aspect du cinéma populaire.
L’engouement pour le cinéma "Bollywood" qu’on observe depuis quelques années, est-il à votre avis une mode ou un courant continu que vous voyez évoluer au fil du temps ?
C’est un peu les deux : les gens qui découvrent le cinéma indien et qui l’apprécient dans ses multiples facettes et toute sa richesse, créent un courant pérenne qui ne peut que s’amplifier, doucement mais sûrement, car le cinéma populaire indien a des souches profondes et universelles.
Il existe aussi un courant de mode "Bollywood" qui use et abuse de cette expression aussi bien pour des films que pour des spectacles, des émissions de télévision, de la décoration ou autres objets de consommation. Cette mode-là, comme toutes les modes, est vouée à disparaître. Il faut savoir que le mot même de "Bollywood" n’est pas apprécié par les acteurs, réalisateurs, producteurs indiens. Ce mot est apparu dans les années 90, à l’extérieur de l’Inde, et la référence à Hollywood irrite les représentants de la plus grosse industrie cinématographique du monde, qui ne s’est certes pas développée par rapport à son voisin américain. De plus, le terme "Bollywood" est connoté par un courant de films qui est apparu lui aussi dans ces années 90 : beaucoup de glamour, de flamboyance, alors que le cinéma populaire hindi plus classique est également plus sobre. Il suffit de comparer les deux Devdas, celui de 1955 de Bimal Roy et celui de 2003 de Sanjay Leela Bhansali, pour voir que le cinéma hindi populaire recouvre plusieurs réalités, et qu’il serait dommage de le réduire à quelques clichés.
La mode passera mais les bons réalisateurs, ceux qui allient à la fois une écriture personnelle et les codes du cinéma populaire, comme Sanjay Leela Bhansali, Ashutosh Gowariker, Mani Ratnam, et plus récemment Farah Khan, ceux-là perdureront.
Pour cette cinquième édition, nous avons choisi le terme "stars du cinéma hindi" parce que le cinéma hindi représente le cinéma populaire, sans spécificités régionales, avec toute une palette d’expressions qui s’illustrent au fil du temps, des courants, des périodes. Certains films présentés sont très proches de ce qu’on appelle en France le cinéma d’auteur, mais ils peuvent tout à fait emprunter aux codes du cinéma commercial, ou employer ses plus grandes stars, comme Aishwarya Rai dans Raincoat, ou Shah Rukh Khan dans Maya et Dil Se.
Suite de l’interview dans quelques jours : les coulisses de l’exploit…
Pour accéder aux articles sur les films cités, les liens sont réunis dans l’article "Les films de l’Eté indien au Musée Guimet 2008".
Pour en savoir plus sur l’auditorium du Musée Guimet, vous pouvez vous reporter à la précédente interview d’Hubert Laot effectué par David Roussé (Meldon) et Maguy.
Pour en savoir plus sur l’itinéraire de Martine Armand, vous pouvez vous reporter à la précédente interview effectuée par Eulika et Maguy.