Mardaani
Traduction : Battante
Langue | Hindi |
Genre | Polar |
Dir. Photo | Artur Zurawski |
Acteurs | Rani Mukherjee, Tahir Raj Bhasin, Priyanka Sharma, Jisshu Sengupta, Saanand Verma |
Dir. Musical | Salim-Suleiman |
Parolier | Kausar Munir |
Chanteur | Sunidhi Chauhan |
Producteur | Aditya Chopra |
Durée | 114 mn |
Shivani Shivaji Roy (Rani Mukherjee) est inspectrice principale à la criminelle de Bombay. Ce petit bout de femme énergique mène son équipe de policiers d’une main de velours, sans hésiter à enfreindre les consignes pour arrêter les malfrats. Elle porte aussi bien le sari que le pantalon, son pistolet de service toujours à portée de main. La distribution des claques ne lui fait pas peur ; c’est elle la loi et l’ordre. Alors comme tous les policiers très investis de leur mission, elle rentre très tard à la maison. Même le soir de son anniversaire, son mari aimant et Meera, son adorable fille adoptive, se sont endormis en l’attendant.
Pyaari (Priyanka Sharma) est une petite fille des rues que Shivani avait sauvée alors que son oncle était sur le point de la vendre. Elle va avoir 12 ans dans quatre jours et Meera a promis de faire le gâteau d’anniversaire pour la petite fête qui sera organisée. Mais le temps passe et Pyaari n’a pas reparu. Shivani s’en inquiète, lance une enquête dans son école, interroge ses indics. Pyaari a disparu sans laisser de traces…
Rani Mukherjee a 36 ans et il lui devient de plus en plus difficile de jouer les ingénues après laquelle court le héros. Elle avait déjà tenté avec succès de sortir des stéréotypes, mais les rôles importants se font de plus en plus rares. Elle n’était ainsi ces dernières années que l’épouse d’Aamir Khan dans Talaash et celle de Randeep Hooda dans un des courts-métrages de Bombay Talkies. Cela change avec Mardaani où elle retrouve enfin le premier rôle. Mieux, elle est de presque toutes les scènes et c’est uniquement à travers ses yeux que nous assistons à la traque. Son mari Aditya Chopra a produit le film sous la bannière familiale, mais ce n’est certainement pas par favoritisme qu’elle est en tête d’affiche : Rani est Shivani.
Son personnage est à la base un flic typique du cinéma indien. Tous les tics des films policiers sont là et on pourrait se prendre parfois à imaginer que Shivani est une sorte de Singham en jupon. Cela inclut des coups de poing (et de pied) qui satisferont certainement le public féminin, même si on peut douter un peu de leur vraisemblance. Heureusement, les auteurs ne sont pas allés jusqu’à l’exagération ridicule de Gulaab Gang et on conviendra volontiers qu’après tout, les bagarres de Chulbul Pandey ne sont pas plus crédibles. Toujours est-il que Rani Mukherjee s’est entraînée sérieusement au combat et que le résultat est étonnamment à la hauteur.
Shivani Shivaji Roy est beaucoup plus intéressante que la cohorte de redresseurs de torts virils qui peuplent Bollywood. Pour commencer, c’est une femme dans un univers d’hommes. Les mastards qui composent son équipe lui obéissent sans l’ombre d’une hésitation, et les voyous la craignent comme le Diable. À aucun moment, on ne sent la moindre condescendance ou mépris de la part des hommes qui l’entourent. Même l’ignoble bandit l’appelle « Madame ». Cette vision est tellement positive que le spectateur en viendrait presque à regretter qu’il manque les inimitiés, les railleries et parfois les insultes, dont sont en général victimes les flics de cinéma masculins. Mardaani nous place dans une Inde irréelle où certaines femmes ont définitivement gagné l’égalité.
Ensuite, Shivani n’agit pas tout à fait comme ses collègues masculins. Elle préfère la ruse aux coups, et quand il s’agit de torturer un suspect — nous sommes en Inde —, c’est en le bourrant de jelabi (une divine pâtisserie extrêmement sucrée, aussi appelée zlabia en Afrique du Nord) qu’elle essaye de le faire parler. Elle n’a pas plus besoin de brutaliser ses indics, un bon petit plat fait l’affaire. Au contraire des brutes des masala d’action, elle ne se résout à utiliser la force que lorsque c’est strictement nécessaire. Cette relative douceur est peut-être un artifice scénaristique pour mieux montrer l’horreur de la situation de Pyaari qui constitue l’aspect central du film. Il n’en reste pas moins que Mardaani nous propose la vision d’une police apaisée et (relativement) respectueuse. On se prend à rêver qu’elle ne soit pas trop éloignée de la réalité…
Juste avant le générique de fin, Maradaani nous assène des chiffres qui passent presque trop vite pour qu’on ait le temps de réaliser : 40 000 enfants enlevés chaque année, une petite fille qui disparaît toutes les 8 minutes en Inde, 1.2 million d’enfants victimes du trafic sexuel en Inde. La tendance naturelle du spectateur est de faire le lien entre ces chiffres et ce qu’on vient de voir : des petites filles enlevées dans les rues de Bombay pour être vendues aux enchères à de riches proxénètes.
La sinistre réalité est différente. Les statistiques fiables n’existent pas, mais il est à peu près certain que des centaines de milliers de mineurs (filles et garçons) sont prostitués en Inde. Une partie d’entre eux vient du Népal ou du Bangladesh voisins, et il est probable que de jeunes Indiens traversent les frontières à l’inverse pour alimenter les maisons de passe asiatiques. Les causes de cette horreur sont multiples, de la misère la plus noire à des considérations religieuses dévoyées. Les journaux se font parfois l’écho de cas d’enfants très jeunes et de tourisme sexuel, en particulier à Goa, mais cela semble marginal. Il arrive aussi certainement que des fillettes soient enlevées, mais ce n’est peut-être pas la méthode la plus fréquente pour se saisir des enfants.
Les auteurs ont été assurément très maladroits en forçant le trait pour l’adapter à un film commercial. Qu’il s’agisse en réalité d’enfants paumés, plus ou moins abandonnés, vendus par leurs parents ou ramassés au hasard dans le caniveau pour les mettre à l’abattage dans des bouges de bidonvilles d’Asie du Sud-Est n’est pourtant pas moins affreux que ce qui nous est montré. Les intentions de Maradaani sont louables, et on peut difficilement faire le reproche à un simple film policier de ne pas mettre le spectateur en face d’une réalité qui est de toute façon très mal connue.
Maradaani oscille donc entre une présentation idyllique de la femme indienne, et à l’inverse une dénonciation qu’on pourrait juger maladroite de la prostitution enfantine. Ces deux aspects manquent de crédibilité, mais certainement pas de cœur. Ils posent cependant un problème : l’émotion peine à nous envahir lorsqu’on a du mal à adhérer complètement à ce qui est montré. Et dans sa construction aussi le film nous détache des personnages. Ils changent sans nous laisser le temps de les connaitre entre la première et la seconde partie. L’unité de lieu est également brisée à l’entracte, lorsque Shivani passe brutalement de Bombay à New Delhi. Au final, le spectateur se trouve presque en face de deux films différents avec pour seuls fils rouges Shivani et le trafic d’enfants.
Il fallait un antagoniste fort en face de l’héroïne, nous en aurons plusieurs. L’un d’entre-eux, Walt, joué par le jeune Tahir Raj Bhasin, est plutôt convaincant même si son comportement qui fait inexplicablement le grand écart entre l’ignominie envers les petites filles et le respect vis-à-vis de Shivani laisse pantois. Les autres personnages sont très lisses, sans beaucoup de texte pour leur créer une identité. Ainsi Pyaari, pourtant à l’origine de l’histoire, ne parle presque pas en se contentant de rouler de grands yeux effrayés. On imagine que le réalisateur, Pradeep Sarkar, voulait focaliser son film sur son personnage principal, mais il a oublié qu’elle ne peut réellement exister que si son entourage donne une impression de profondeur.
Si l’on excepte l’atypique Aiyyaa, Rani Mukherjee n’avait plus été en tête d’affiche depuis Dil Bole Hadippa ! il y a maintenant 5 ans. Mardaani lui offre une sorte de grand retour, dans un film centré sur son personnage de policière intrépide. Elle habite le rôle avec force et talent, jusque dans les combats qui sont habituellement l’apanage des acteurs bodybuildés.
Mais comme souvent à Bollywood, l’écriture laisse à désirer. À trop vouloir remplir les salles, les auteurs ont laissé en chemin l’essentiel : construire un monde auquel on ait envie de croire, composé de personnages auxquels on s’attache.
Tout n’est pas négatif cependant. L’histoire est menée avec entrain et suffisamment de rebondissements pour qu’on ne s’ennuie pas. Et puis le film porte un message auquel on ne peut qu’adhérer, à défaut d’être convaincu par la démonstration.