Bombay Talkies
Langue | Hindi |
Genre | Inclassable |
Dir. Photo | Anil Mehta, Ayananka Bose, Rajeev Ravi, Carlos Catalan, Nikos Andritsakis |
Acteurs | Amitabh Bachchan, Rani Mukherjee, Katrina Kaif, Randeep Hooda, Nawazuddin Siddiqui, Saqib Saleem, Vineet Kumar Singh, Sadashiv Amrapurkar, Naman Jain |
Dir. Musical | Amit Trivedi |
Paroliers | Amitabh Bhattacharya, Swanand Kirkire |
Chanteurs | Shreya Ghoshal, Mohit Chauhan, Kailash Kher, Sunidhi Chauhan, KK, Kumar Sanu, Sadhana Sargam, Udit Narayan, Sukhwinder Singh, Alka Yagnik, Sonu Nigam, Shilpa Rao, Shaan, Amit Trivedi, Javed Bashir, Kavita Krishnamurthy, Richa Sharma, Kavita Seth, Abhijeet Bhattacharya, S. P. Balasubrahmanyam |
Producteur | Viacom 18 Motion Pictures |
Durée | 128 mn |
Lorsqu’on demande à quatre réalisateurs — trois réalisateurs et une réalisatrice, plus exactement — de la nouvelle génération du cinéma hindi de célébrer en images le centenaire du cinéma indien, cela donne les quatre récits kaléïdoscopiques qui composent Bombay talkies…
Gayatri (Rani Mukerji) est une jeune femme plus comblée sur le plan professionnel que sentimental. Bien qu’elle soit mariée à Dev (Randeep Hooda), son couple végète, installé dans la routine du quotidien et passant au deuxième plan derrière la carrière de chacun des conjoints. Gayatri travaille en effet dans un important quotidien de Bombay, alors que son mari occupe un poste important dans une grande entreprise. Tous deux sont représentatifs de la haute classe moyenne urbaine vivant dans la capitale économique. Un jour, l’arrivée d’un nouveau collègue de travail, Avinash (Saqib Saleem), suscite chez Gayatri beaucoup de curiosité par la revendication ouverte de son homosexualité. Avinash est passionné par les chansons des vieux films hindis tout comme le mari de Gayatri qui décide d’inviter à dîner ce singulier collègue. L’arrivée de ce jeune homosexuel va bouleverser la vie du couple, révélant d’un coup tous les non-dits de la relation entre Gayatri et son mari…
Purandar (Nawazuddin Siddiqui) vivote avec sa famille dans le miroir aux alouettes qu’est Bombay. Il aurait voulu être acteur, mettre à profit les cours de comédie dispensé par son maître décédé, mais il doit se contenter de petits boulots pour faire vivre sa famille. De son rêve de cinéma, il ne subsiste que les histoires de film que Purandar raconte à sa petite fille. Un jour pourtant, la chance semble lui sourire. Il est engagé comme figurant lors d’un tournage de film en pleine rue…
Vikram, alias Vicky (Naman Jain) est un jeune garçon d’une dizaine d’année de la classe moyenne de Bombay. Son père l’oblige à jouer au football et à pratiquer d’autres sports de garçons alors que lui ne rêve que faire de la danse. Il voudrait en effet danser comme Katrina Kaif, son idole, surtout cette choré entraînante de « Sheila Ki Jawaani », du film Tees Maar Khan. Vicky ne se contente pas de rêver de Katrina, comme d’autres petits ou grands peuvent le faire, il voudrait aussi bouger comme elle, s’habiller comme elle, etc. choses qu’il fait bien entendu en cachette, avec la complicité de sa sœur…
Vijay (Vineet Kumar Singh) est originaire de Allahabad (Uttar Pradesh), tout comme son idole, Amitabh Bachchan, illustre citoyen de cette ville. Un jour, alors que son père est à l’article de la mort, il lui raconte comment il avait rencontré sa star vénérée, Dilip Kumar, lui offrant une pâtisserie qu’il avait non seulement mangé, mais aussi apprécié. Le père fait ensuite le vœu de voir son fils rencontrer son idole et de lui en rapporter la preuve, sous forme d’une pâtisserie (murabba) croquée afin de pouvoir mourir en paix. Vijay part alors à Bhandra, faire le pied de grue, comme tant d’autres fans, devant le domicile de Amitabh Bachchan pour lui faire croquer sa murabba…
Présenté au Festival de Cannes 2013, lors de la soirée d’hommage au centenaire du cinéma indien, Bombay talkies — titre clin d’œil à un célèbre studio de Bombay de l’âge d’or du cinéma hindi —, est un film à sketchs qui comporte les qualités, mais aussi, malheureusement les faiblesses du genre.
Commençons par les faiblesses et surtout la première d’entre elles : l’inégalité. En effet, demander à des réalisateurs aussi différents — aussi antinomiques, oserais-je dire — que Karan Johar ou Anurag Kashyap de livrer une courte histoire (30 mn) sur le thème de la célébration du cinéma, ne peut donner qu’un résultat disparate en dépit d’un même fil conducteur.
Le sketch de Karan Johar est, à première vue, le plus faible des quatre. En effet, c’est l’homosexualité et non le cinéma qui semble en être le sujet principal, puisque celui-ci n’est évoqué qu’à travers la passion commune pour les chansons de vieux films hindis que partagent les deux personnages masculins. Avec cette revendication ouverte de l’homosexualité et la dénonciation de l’hypocrisie, l’histoire de Karan Johar aurait davantage eu sa place dans un film indépendant, à vocation plus sociale, du type I AM, que dans un métrage censé rendre hommage au cinéma. À moins que la référence ne soit plus subtile qu’il n’y paraît… On retrouve dans Ajeeb Dastaan Hai Yeh, la fameuse figure du triangle amoureux, qui a fait les beaux jours de la cinématographie indienne des origines à nos jours, employée ici de façon détournée. Il y a bien, en effet, une femme et deux hommes, mais ceux-ci se fichent comme d’une guigne de gagner son amour. Le triangle ne sert pas ici à sublimer la relation amoureuse, mais à dénoncer l’hypocrisie et le mensonge social. Cette référence au cinéma vous paraît tirée par les cheveux ? C’est aussi mon opinion et c’est pourquoi la saynète de Karan Johar est la moins réussie.
Star, de Dibakar Banerjee est une vertigineuse prouesse de mise en abîme de l’hommage. Le récit est l’adaptation d’une nouvelle de Satyagit Ray (dont nous avions fait la chronique ici), le maître bengali et le plus international des cinéastes indiens (et le plus représenté à Cannes, soit dit en passant). Cette référence au cinéma bengali par un réalisateur bengali est une façon d’intégrer à l’hommage cette cinématographie, plus réputée pour son cinéma indépendant et plus intellectuel, mais aussi les nombreux réalisateurs d’origine bengalie qui ont contribué à l’âge d’or du cinéma hindi, comme Bimal Roy, pour n’en cite qu’un.
Le sketch de Zoya Akhtar, la seule femme du quatuor, rappelons-le, est aussi une réussite par son originalité. En premier lieu, parce qu’elle choisit de traiter de l’attraction exercée par les stars sur la jeunesse à travers un petit garçon qui ne rêve pas de devenir un héros testotéroné de film d’action, mais un danseur. Contrairement au réalisateur de Billy Eliott, film au thème similaire, Zoya Akhtar est obligé de forcer le trait en introduisant la notion de travestissement que comporte l’identification à un personnage féminin pour livrer un message fort : ne brider pas les rêves de vos enfants pour étranges qu’ils puissent vous paraître, tout en accomplissant un hommage très pertinent au cinéma.
L’idolâtrie, la vénération d’une star est aussi le thème du dernier récit, Murabba, de Anurag Kashyap. Néanmoins, le réalisateur iconoclaste de Gangs of Wasseypur, leader de la nouvelle vague du cinéma hindi, nous livre ici une partition tout à fait classique et par là même, un peu décevante.
En dépit des inégalités, Bombay talkies est un film agréable à regarder à l’image de la séquence finale : une chanson, « Apna Bombay Talkies », pour célébrer ceux qui incarnent le cinéma, les acteurs de toutes les générations dans un habile montage mêlant extraits de films et présence physique des acteurs contemporains. On ne peut malgré tout exclure une légère pointe de déception, car Bombay talkies n’est pas le monument attendu pour célébrer un événement aussi exceptionnel qu’un centenaire du cinéma indien…