Phillauri
Traduction : Habitant de Phillaur
Langue | Hindi |
Genre | Drame |
Dir. Photo | Pratap Sinha |
Acteurs | Anushka Sharma, Suraj Sharma, Diljit Dosanjh, Manav Vij, Shivam Pradhan |
Dir. Musical | Jasleen Royal, Shashwat Sachdev |
Paroliers | Anvita Dutt Guptan, Shellee, Neeraj Rajawat, Aditya Sharma |
Chanteurs | Mika Singh, Nakash Aziz, Diljit Dosanjh, Pavni Pandey, Jasleen Royal , Romy, Vivek Hariharan, Shilpi Paul, Shehnaz Akhtar |
Producteurs | Fox Star Studios, Anushka Sharma, Karnesh Sharma |
Durée | 130 mn |
Kanan (Suraj Sharma) revient au Pendjab depuis le Canada où il habitait pour épouser Anu (Mehreen Pirzada) qui lui était promise depuis longtemps. Autant le dire clairement, l’idée se marier ne l’emballe pas. Ce n’est pas qu’il n’aime pas Anu, mais à 26 ans, s’attacher un fil à la patte n’est pas sa priorité. Et lorsque l’astrologue lui annonce qu’il est un manglik [1], c’est l’abattement. Mais Kanan est finalement un garçon obéissant, il écoute l’astrologue et s’en va tourner 7 fois autour du tronc pour conjurer le mauvais sort.
La nuit qui suit le mariage avec l’arbre, Kanan est réveillé en sursaut pas une forme qui flotte au-dessus de son lit. C’est un fantôme (Anushka Sharma) ! Les premiers moments de terreur passés, ils réalisent tous deux qu’en pratiquant le rituel végétal, Kanan a en réalité épousé cette femme-fantôme qui hantait l’arbre. Elle comme lui ne ne comprennent pas bien ce qu’elle faisait là. Aussi, comme pour rechercher une logique à cette situation, elle raconte son histoire.
Il y a très longtemps, elle s’appelait Shahsi et vivait à Phillaur au Pendjab. Elle était sous la garde vigilante de son frère Kishan (Manav Vij), le sévère docteur du village. Mais en secret, sous le pseudonyme de « Phillauri » [2], elle publiait dans le journal local de la poésie qui ravissait la petite communauté rurale. Il y avait aussi à Phillaur un chanteur un peu bohème dénommé Roop Lal (Diljit Dosanjh). Lui aussi se faisait appeler « Phillauri » et tout le monde pensait qu’il était l’auteur des fameux poèmes. Finaud, il laissait planer le doute et chantait ces textes pour le plus grand plaisir des habitants de cet endroit reculé…
Phillauri nous raconte deux histoires entremêlées qui n’ont pas d’autre rapport entre elles que le lieu où elles se déroulent : le Pendjab. La description du mariage « semi-arrangé » (il était convenu depuis très longtemps, mais Kanan n’est plus très sûr d’en avoir envie) de Kanan et Anu est tout à fait moderne. Les deux familles de la classe moyenne aisée sont plutôt libérales et comportent même leur lot de personnages atypiques réjouissants comme la grand-mère qui s’envoie son petit whisky dès 9h le matin. D’un autre côté, les amours de Shashi s’inscrivent dans un Pendjab rural et modeste pétri de traditions qui voit l’arrivée des premiers 78 tours comme une révolution. Plus qu’une opposition entre deux modes de vie aux antipodes, les auteurs les juxtaposent pour nous montrer avec une grande tendresse l’évolution des mœurs au même endroit. Le changement en quatre générations à peine est presque incroyable, mais il faut se rendre à l’évidence qu’il correspond à une certaine réalité.
L’évocation du passé sous forme de flashbacks vise joliment à considérer les temps anciens comme faisant partie intégrante de la culture du présent, en même temps qu’il raconte par petites touches une histoire d’amour émouvante. Les thèmes évoqués sont profondément indiens et il est à croire que ceux qui ont vu dans Phillauri un plagiat des Noces Funèbres de Tim Burton n’ont regardé ni l’un ni l’autre. Shashi n’est en aucune façon Emily et Victor n’a rien de commun avec Kanan. Il ne s’agit même pas d’une adaptation, le point de départ comme la conclusion n’ont pas de rapport. La seule chose en commun réside dans le mariage avec une défunte, mais (heureusement) les Indiens n’éprouvent pas la passion très américaine des cadavres en décomposition. Shashi est un très joli fantôme…
Si l’histoire de Kanan et sa confrontation avec un étrange fantôme sont drôles et légères, celle de Shashi est beaucoup plus grave. Elle se débat dans un monde patriarcal où les femmes n’ont pas voix au chapitre. Elle se cache pour écrire de la poésie ce qui semble une transgression si importante qu’elle n’ait informé que son amie la plus proche. On pourrait même penser que le pire pourrait lui arriver si elle était découverte [3]. Son frère Kishan est l’implacable gardien de la réputation de sa sœur et lorsqu’il découvre qu’elle a un amoureux en la personne d’un musicien ambulant, on craint l’irréparable. Cette angoisse de spectateur est renforcée par l’évocation en chanson de Mirza-Sahiban, un conte pendjabi qui finit en crime d’honneur atroce [4].
Mais tout n’est pas si simple. Kishan, non content d’être le médecin du village, est aussi impliqué dans le mouvement de libération contre les Anglais. De son côté, Roop Lal, l’amoureux, se révèle bien plus sensible qu’il n’y parait au premier abord. Mieux, il la respecte et admire son talent. Phillauri est bien plus élégant et optimiste qu’on aurait pu l’imaginer au premier abord. C’est une sorte de film féministe délicat où les hommes peuvent être avoir de l’allure. On pense à un film écrit par une femme et c’est effectivement le cas. Anvita Dutt à qui l’on doit de nombreux textes de chansons et les dialogues de films tels que Patiala House a réalisé le script de Phillauri, son second après Shaandaar.
En mettant l’accent sur la chanson populaire, les auteurs nous font aussi le plaisir de nous ramener à l’époque où la musique enregistrée faisait ses débuts en Inde [5]. Bien plus qu’un simple tour de passe-passe scénaristique destiné à relier les histoires présentes et passées, ces premiers disques maintiennent une partie majeure de la mémoire des temps anciens. Nous faire entendre ces voix d’outre-tombe et nous montrer l’émerveillement que l’avancée technologique a pu représenter participent de l’affection palpable pour le Pendjab et sa culture que le film communique.
Et comme il était fréquent au cinéma dans les temps anciens, Phillauri est un film est centré sur une femme. Shashi, vivante ou devenue fantôme, est au cœur des deux époques. Elle est bien décidée à mener son chemin, au mépris des conventions et advienne que pourra. Elle ne vise pas l’égalité, elle l’incarne. Les hommes gravitent autour d’elle et on ne les voit guère que par ses yeux. Comme dans NH10, Anushka Sharma mène la danse dans ce film qu’elle a produit avec son frère. Il est d’ailleurs intriguant de remarquer que même lors de la promotion du film, c’est elle qui fait les réponses alors que Diljit Dosanjh, pourtant une grande vedette au Pendjab, et Suraj Sharma, le héros international de L’Odyssée de Pi sont nettement en retrait.
Tous les personnages sont assez attachants et c’est un crève-cœur quand on découvre… shhhut, je ne vous dis rien… Même s’il est mono-expressif, Suraj Sharma fait ce qu’on attend de lui. C’est aussi le cas de Diljit Dosanjh qui est malheureusement éclipsé par Anushka Sharma, la vraie vedette du film. Manav Vij a une présence remarquable à l’écran, au contraire de Mehreen Pirzada qui donne l’impression d’être une cruche avec des faux airs de Kajal Aggarwal. Mais elle n’est pas responsable de la difficulté de Phillauri. Le film est par moments si lent, particulièrement dans son final qu’on croirait sorti d’un vieux Disney, que les spectateurs pourraient se lasser. Ces longueurs sont concentrées dans la seconde partie, ce qui fait que les deux heures dix du film pourraient paraître interminables aux impatients.
Malheureusement, les chansons ne sont pas de nature à redonner du rythme. La meilleure d’entre elles est probablement Sahiba et on pourra regretter qu’elle ne soit pas interprétée par Diljit Dosanjh. Elles passent sans qu’on les retienne et comme de surcroît elles sont filmées de façon assez ordinaire, elles participent des longueurs. Mais le réalisateur Anshai Lal, dont c’est le premier film, peut être crédité d’une réussite : les effets spéciaux, nécessaires à la création du charmant fantôme, sont pour une fois remarquables, car presque invisibles. Le cinéma indien ne nous avait pas habitués à des images où il est parfois difficile de faire la part du vrai et du faux, même si ici, le faux est assez évident.
En mélangeant avec tendresse deux histoires qui se passent au même endroit à un siècle d’intervalle, les auteurs de Phillauri nous emmènent faire un agréable voyage. Certes, certains pourront le trouver lent, surtout sur la fin, mais les acteurs nous prennent gentiment par la main et nous offrent de passer un bon moment en leur compagnie.
Ce film constitue aussi une des rares occasions de voir précisément reconstitués l’arrivée de la musique enregistrée en Inde. Rien que pour cela, il mérite d’être vu.
[1] « manglik » désigne une personne qui est née sous une mauvaise étoile ; plus spécifiquement, que Mars n’était pas dans la bonne « maison » lorsqu’elle a vu le jour. En conséquence, c’est un très mauvais présage lorsqu’il s’agit de se marier. Heureusement, il est possible de s’en défaire : il suffit d’épouser préalablement un arbre tel qu’un bananier ou un pipal, voire une statuette de Vishnu. Dans le film, ils choisissent l’option pipal. Il se dit qu’Aishwarya Rai était une manglik et qu’avant de se marier avec Abhishek Bachchan, elle a dû comme Kanan dans le film, en passer par la cérémonie du Kumbh Vivah pendant laquelle elle a épousé un arbre.
[2] « Phillauri » désigne un habitant de Phillaur.
[3] Même si elles sont rares, le Pendjab a connu des poétesses dès le début du XIXe siècle, donc bien avant l’histoire contée dans le film.
[4] Mirza est tué d’une flèche décochée par le frère de Sahiban. Voyant son amant mort, Sahiban se suicide.
[5] La première chanson gravée sur cire en Inde remonte au 8 novembre 1902 lorsqu’une équipe venue de Londres enregistre la très jeune Sashimukhi qui chantait habituellement sur la scène du Classic Theatre à Calcutta. Au départ au Bengale, la musique s’est en quelques années propagée à tout le Sous-continent de telle sorte que nous montrer un enregistrement organisé à Amritsar en 1919 est tout à fait vraisemblable. Les premières sessions étaient entièrement acoustiques, il faudra attendre 1925 pour voir remplacer les immenses cornets par des microphones.