Shah Rukh avant Shah Rukh
Publié lundi 2 novembre 2015
Dernière modification dimanche 17 juillet 2016
Article lu 585 fois
Par
Il y a quelque temps, nous avions parlé de la série Fauji. Fantastikindia ne pouvait quand-même pas passer à côté des débuts de notre Baadshah favori. Pour le cinquantième anniversaire de la méga star, nous récidivons pour vous offrir un peu de préhistoire et quelques images rares du King Khan !
Un petit tour sur la biographie de Shah Rukh Khan vous dira que sa première apparition sur grand écran a eu lieu dans Deewana et que Fauji avait déjà commencé à le rendre populaire sur les petits écrans. Certes ! Cette série a bien été la première diffusée et l’on peut y constater que le jeune acteur maîtrise déjà son jeu, montrant une vraie aisance devant la caméra. Mais il y a eu un avant Fauji. Dès 1985, âgé de vingt ans, Shah Rukh, qui vivait à Delhi et ne rêvait pas encore de devenir une star planétaire, avait intégré le Théâtre Action Group de l’acteur anglais John Barry, le TAG [1]. Le directeur lui conseille très vite de faire du cinéma et lorsque Pradip Krishen et sa femme Arundhati Roy contactent le théâtre pour le casting d’un film télévisé, adapté des expériences de la future auteure du Dieu des petits riens qui joue son propre rôle, le jeune homme décroche un rôle de figurant.
Ce premier film, situé dans le milieu des étudiants en architecture, s’intitule In Which Annie Gives It Those Ones. C’était en 1988. Quatre petits tours et à peine quelques répliques, pas de quoi satisfaire le jeune ambitieux, trop sûr de lui, et vexé d’être à peine crédité en fin de générique. Cependant, la même année, il est choisi de nouveau pour la série Dil Dariya de Lekh Tandon. L’histoire est celle de deux familles voisines et amies, l’une sikh, l’autre hindoue, que les tensions politiques dans le Pendjab vont séparer. Le réalisateur — il retrouvera Shah Rukh dans Swades et dans Chennai Express [2] — lève ses inhibitions et lui apprend à extérioriser ses émotions, notamment à pleurer, et on sait l’importance des facultés lacrymales de Shah Rukh qui ont bouleversé des générations de fans. Il trouve la manière de jouer qui sera la sienne à l’avenir : expressivité, émotions parfois contradictoires manifestées simultanément, un jeu qui à la différence du théâtre — le théâtre occidental classique qui l’intéressait jusqu’alors — passe au moins autant par la plasticité du visage que par la gestuelle. Ces deux réalisations, In Witch Annie… et Dil Darya, ne seront diffusées qu’en 1989, après l’histoire du soldat Abhimanyu Rai et de ses compagnons d’armes, c’est pourquoi Fauji demeure pour Shah Rukh son vrai tremplin vers les sommets.
A la suite de ce début de reconnaissance, les propositions ne tardent pas à se faire plus fréquentes. Mais il reste très difficile pourtant de reconstituer, après Fauji, la chronologie exacte des séries qui ont contribué à faire de Shah Rukh Khan le comédien que l’on l’aime aujourd’hui. Leur diffusion ne suit pas forcément le tournage et les sources divergent sur leur classement chronologique. Tentons le nôtre. Nous n’avons malheureusement pas d’images de Doosra Keval (le deuxième Keval), diffusée entre 1989 (à partir du 2 avril) et 1990, une série dramatique dans laquelle Shah Rukh incarne un jeune garçon, Keval, qui se sacrifie pour empêcher un ami de sombrer dans le terrorisme. Ce n’est pas spoiler que de vous le raconter, étant donné que si vous avez la chance de tomber un jour dessus, vous verrez que c’est la mère du héros qui raconte son histoire.
Wagle Ki Duniya (le monde de Wagle), série à succès de la chaîne de télévision publique Doordarshan, en 13 épisodes, d’une vingtaine de minutes, dirigée par Kundan Shah et produite par Ravi Ojha, est tirée des personnages créés par le dessinateur RK Laxman. Le héros, incarné par Anjan Srivastav, est un homme ordinaire de la classe moyenne, le même « common man » que l’on retrouvera bien des années plus tard dans Chennai Express, à qui il arrive toute sorte de mésaventures attendrissantes. Dans l’un des épisodes qui se déroule presque entièrement dans un poste de police, Wagle est confronté à Shah Rukh Khan… et berné par lui, mais ce dernier bon garçon le raccompagne chez lui à la fin de l’histoire. C’est peut-être grâce à cet épisode que Shah Rukh attire l’attention de l’un des trois membres d’Iskra Rogonag. A moins qu’il ait été choisi parce qu’il le connaissait déjà.
Toujours est-il que le jeune comédien est remarqué par la société de production de Bombay, codirigée par trois metteurs en scène, Saeede Mirza et son frère Aziz, ainsi que… Kundan Shah. Plus tard, il tournera un film avec celui-ci et quatre avec Aziz Mirza. Avec ce dernier, il montera aussi sa première société de production Dreamz Unlimited [et aussi avec Juhi Chawla, la partenaire de ses débuts et également son amie]. Shah Rukh Khan va donc commencer à partager son temps entre Delhi et Bombay où les choses se passent. Grâce à eux, il joue dans deux épisodes de la série que produit Iskra Rogopag, réalisée par Joy Mukherjee, Umeed, dont l’intrigue se situe dans l’Inde rurale. Le mot, vient du persan et signifie Espoir, Confiance, tout un programme ! Si le rôle est insignifiant, la chance est au rendez-vous.
Le comédien pressenti pour le rôle principal de la série suivante est déjà pris par un tournage et fait faux bond. Et c’est Shah Rukh qui décroche le pompon. Réalisé par Aziz Mirza, qui devient son ami et son mentor, Circus raconte en vingt épisodes l’histoire d’un jeune indien, Shakaran, contraint de revenir des États-Unis pour s’occuper d’un cirque appartenant à son père, au bord de la faillite. La série met aussi en scène Ranuka Shane, comme partenaire principale de Shah Rukh, et le futur réalisateur de Laagan et de Swades, Ashutosh Gowariker, dans un autre rôle. Le tournage a lieu en extérieurs et dans un vrai cirque. Cela renforce les liens de la troupe et les amitiés naissantes. Aziz Mirza a détecté et exploité l’énorme potentiel physique et l’énergie de l’acteur. Il a tablé également, dans les premiers épisodes, sur la veine comique de Shah Rukh qui ne demandait que cela. Son premier contact avec les animaux du cirque est un vrai festival de grimaces. Comme dans Fauji, il crève l’écran et maîtrise maintenant parfaitement son jeu. Il est mûr pour le grand écran.
Mais n’allons pas trop vite. La rareté qui suit, Mahaan Karz (Une si grande dette), est datée par certains de 1991, par d’autres de 1987. C’est un petit film d’évangélisation produit par un groupe chrétien "born-again" [3], d’un peu plus de 17 minutes, produit par la Christian Films & Television Association. Le jeune comédien y tient le rôle d’un jeune homme ambitieux introduit par son père auprès du Maharaja, puis quasiment acculé au suicide en raison de dettes de jeu. Désespéré, il est sauvé in extremis par le souverain qui a réglé ses débiteurs. Une métaphore du Christ rachetant l’humanité en faisant le sacrifice de sa vie. Shah Rukh avait-il déjà signé à Bombay pour Deewana et Dil Aashna Hai lorsqu’il a tourné à Delhi, pour un cachet de 3000 roupies, ce court-métrage écrit et réalisé par un ami de théâtre, Dinesh Lakhanpal ? On peut en douter, c’est notre cas. De plus, les biographies sérieuses situent son installation à Bombay juste après le décès de sa mère, en avril 1991. Pourquoi donc serait-il retourné à Delhi, même si c’était pour tourner avec un ami ?
La CFDB (la Christian Film Data Base, équivalent spécialisé de l’IMDB) et d’autres sources datent cette œuvrette de 1987. Cette hypothèse emporte notre adhésion. Étant donné le jeu du jeune débutant, encore figé et très théâtral — il suffit de le voir porter les mains de part et d’autre son visage pour mimer le désespoir, d’exagérer aussi ses mouvements faciaux lorsqu’il pleure —, on peut facilement penser qu’il s’agit de sa toute première prestation devant une caméra, avant même In Witch Annie…, environ un an avant. Si l’on regarde attentivement son visage, sans tenir compte de sa coupe de cheveux, trompeuse, on se rend compte qu’il fait très très jeune, beaucoup plus en réalité que dans Fauji. Voici donc en exclusivité et sous-titré en français ce court-métrage, vous allez pouvoir en juger par vous-même.
Mahaan Karz (1987 ? ou 1991 ?)
De 1991, sans hésitation cette fois, date sa prestation dans Ahamaq (l’Idiot) de Mani Kaul. Le réalisateur avait perçu chez lui un côté tragique et voulu lui confier le rôle de l’ennemi du prince Mychkine, le héros de Dostoïevski que ses crises d’épilepsie font prendre pour un simple d’esprit. Le roman est transposé dans le Bombay moderne et Rogojine s’appelle Pawan Raghujan. Déjà un rôle négatif pour le jeune Shah Rukh qui avait hésité à s’engager auprès du cinéaste, pour ce premier film de vrai cinéma qui n’aboutit pas. Trop expérimentale, trop complexe, mystique, l’œuvre est montrée au Festival du film de New York en octobre 1992 où elle recueille le prix de la critique, mais ne sera jamais exploité en salles. C’est finalement la télévision d’État qui diffuse Ahamaq en mini-série de 4 parties sur la chaîne Doordarshan, la même année, et l’œuvre reçoit en 1993 le prix de la critique dans la catégorie du meilleur film au Filmfare Awards.
Mais ce genre de cinéma ne convient pas à Shah Rukh. Il ne lui apportera pas la reconnaissance internationale à laquelle il a peut-être déjà commencé à rêver. Ce qui ne va pas l’empêcher de continuer de temps à autre ses incursions vers un cinéma exigeant. La suite est connue, c’est Dil Aashna Hai, premier film tourné, mais sorti en salles trois mois après Deewana qui le consacre meilleur débutant. Puis viennent les rôles de méchant, puis ceux d’amoureux parfait et de gendre idéal, de parrain, et beaucoup d’autres. Mais ceci est une autre histoire et, vingt-trois ans après, la légende se poursuit…