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Bollywood en chansons : 1940-1944

Publié jeudi 21 septembre 2017
Dernière modification lundi 11 septembre 2017
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Par Mel

Dossier Bollywood en chansons
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Aurat

Année : 1940
Réalisation : Mehboob Khan
Avec : Sardar Akhtar, Surendra, Yakub et Kanhaiyalal

Le film : Mehboob Khan avait commencé dans le cinéma en 1927, d’abord comme acteur puis comme assistant pour le studio Imperial à Bombay. Lorsqu’Ardeshir Irani, le patron d’Imperial, crée Sagar Movietone en 1929, le jeune Mehboob intègre le nouveau studio en prenant la tête de l’unité de production tout en continuant à jouer. Il débute véritablement derrière la caméra en 1935 en réalisant Al Hilal. Ce succès est le point de départ d’une carrière de réalisateur de renom qui culminera en 1957 avec Mother India.

En 1940 il co-écrit et réalise Aurat (« Femme »), la première version de Mother India. L’histoire est la même : Radha, une paysanne pauvre du nord de l’Inde subit seule les tourments de la misère, et lorsque l’espoir semble renaître, son fils cadet sombre dans le banditisme et terrorise son village. Pour sauver son honneur, elle l’abat d’un coup de fusil.

Les différences de traitement sont cependant importantes. Le montage, les dialogues, les effets spéciaux ou le jeu des acteurs sont par exemple plus aboutis dans la version de 1957. Certains personnages comme le mari de Radha ont été complètement réécrits. Ainsi, dans Aurat, c’est un homme lâche qui perd pied et abandonne sa femme et ses enfants. Au contraire, dans Mother India, c’est un malheureux qui se sacrifie en les quittant pour leur éviter d’être un fardeau inutile.

Malgré ses défauts, Aurat n’en reste pas moins un film très fort. Comment être insensible à la sécheresse qui affame les petits paysans ? Comment ne pas être ému par le courage indéfectible de Radha ? Comment ne pas être révolté par l’attitude du village qui la réprouve ? Certains pourront trouver le film féministe, patriotique, d’inspiration socialiste, naturaliste, réformiste, épris d’hindouisme ; il est tout cela à la fois. Les spectateurs attentifs pourront aussi noter ce qu’il n’est pas, et que n’est par conséquent pas plus son remake. Il n’est pas inspiré des épopées hollywoodiennes et n’est pas une réponse au livre Mother India de Katherine Mayo qui avait tant choqué en 1927. Aurat est en réalité un film profondément indien qui plonge ses racines dans l’âme du Sous-continent.

Sardar Akhtar qui tient là à 25 ans le rôle de sa vie, épousera peu après Mehboob Khan et quittera la scène en 1945.

La chanson : Aaj Holi Khelenge Saajan Ke Sang de Anil Biswas et Dr. Safdar Aah Sitapuri
Aurat présente deux chansons de Holi. La seconde contient une surprise de taille. Elle n’est en rien reliée à l’histoire du film et nous montre deux danseurs dans ce qui semble être leur seule incursion au cinéma avant Kalpana en 1948. Il s’agit d’Uday Shankar et de celle qui deviendra sa femme en 1942, Amala Nandy (toujours de ce monde au moment où ces lignes sont écrites). Le grand danseur dirigeait alors le centre d’Almora où résidaient de nombreux artistes, tels que Guru Dutt et Zohra Sehgal. On peut imaginer que Mehboob Khan ait décidé d’inclure cette courte danse à l’occasion d’un passage d’Uday Shankar à Bombay.

Aaj Holi Khelenge Saajan Ke Sang avec Amala et Uday Shankar


Khazanchi

Année : 1941
Réalisation : Moti B. Gidwani
Avec : Ramola, M. Ismail, S.D. Narang et Durga Mota
Box Office : n°1 , Blockbuster

Le film : Lorsqu’il s’agit de Bollywood les soupçons d’appropriation indue ne sont jamais très éloignés, comme si un succès indien ne pouvait être mérité. Khazanchi (« Le Caissier ») est justement la plus grande réussite commerciale de l’année. On lui reproche d’être un remake de The Way of All Flesh, un film américain sorti en 1940. Effectivement, l’histoire de l’honnête caissier qui se fait dépouiller par des voleurs pendant un voyage d’affaire est similaire. Seulement ce n’est qu’une petite partie de Khazanchi. Le début, la fin comme la morale n’ont rien à voir avec le film de Louis King. On pourra même objecter que le personnage principal n’est pas le caissier mais la jolie Madhuri jouée par Ramola (de son vrai nom Rachel Cohen).

Dans Khazanchi, Kamal, le fils d’un caissier de Lahore s’éprend de Madhuri et les deux tourtereaux envisagent de se marier. Le caissier est envoyé par sa banque à Bombay, puis une fois arrivé sur place il tombe dans un piège et se fait subtiliser l’argent. Les bandits se battent alors que le pauvre caissier gît saoul sur son lit. Un coup de feu part et la voleuse est tuée. Le caissier ne doit qu’à sa fuite de ne pas être arrêté par la police. Comment Kamal, le fils d’un présumé assassin pourrait-il encore épouser Madhuri ? S’en suit une série de rebondissements qui voient Janki Das (le champion cycliste) pédaler comme un dératé, Kamal jouer les procureurs en tentant de faire condamner son père, et Madhuri épouser un parfait inconnu.

Ce n’est pas son scénario rocambolesque qui a permis à ce film produit à Lahore de rentrer dans l’histoire, ce sont les neuf chansons qu’il contient. Elles tournaient en boucle à la radio et plus de 100 000 disques ont été vendus dans les premiers mois de la sortie de la bande-originale. Ghulam Haider, son directeur musical, a acquis une si grande renommée que sa participation à un film constitue à elle-seule un argument promotionnel.

Plus tard, Ghulam Haider sera le parrain de Lata Mangeshkar et réussira à l’imposer contre l’avis de la plupart de ses confrères. Après la partition, il partira comme Noor Jehan et tant d’autres au Pakistan. À l’inverse, Durga Mota qui incarne l’adorable père de Madhuri dans Khazanchi trouvera la mort à Lahore alors qu’il tentait de prendre un train pour l’Inde.

La chanson : Sawan Ke Nazare Hai de Ghulam Haider et Wali Saheb.
Deux groupes de jeunes gens à vélo, garçons d’un coté, filles de l’autres, se promènent dans les rues de Lahore…

Le film s’ouvre et se termine avec Sawan Ke Nazare Hai que toute l’Inde va fredonner. Sa fraîcheur, sa liberté de ton et son originalité à une époque où les chansons sont encore très inspirées par la musique classique emportent l’adhésion. Les paroles sont de Wali Saheb, le mari de Mumtaz Shanti, qui la suivra à Bombay l’année suivante.

Sawan Ke Nazare Hai chantée par Shamshad Begum pour Ramola


Jungle Princess

Année : 1942
Réalisation : Homi Wadia
Avec : Fearless Nadia, John Cawas, Radha Rani et Shehzadi

Le film : On assimile en général Bollywood aux histoires d’amour colorées qui se terminent par un mariage. La réalité est heureusement bien plus variée. Le spectateur indien était par exemple invité dès les années 1920 à admirer les cascades formidables de ses vedettes favorites dans des films d’action trépidants. Le véritable héros de ces stunt movies inspirés du cinéma américain étaient parfois des femmes telles qu’Ermeline au temps du muet, ou un peu plus tard Fearless Nadia.

Les frères Wadia, qui présidaient au destinées de Wadia Movietone, s’étaient fait une spécialité de ce genre populaire. Ils se décident en 1942 à renouveler (un peu) l’image de leur vedette Fearless Nadia qui vient de passer les sept années précédentes à redresser les tords sur pellicule. Elle incarne Tarzan dans Jungle Princess ; le vrai Tarzan avec le naufrage qui la laisse enfant abandonnée en Afrique, les animaux sauvages pour l’élever et au besoin l’aider, l’expédition des chercheurs de trésors, les méchants indigènes qui ne rêvent que de les tuer (au mieux), les balancements dans les arbres, les retrouvailles familiales inespérées etc. Celui qui a déjà vu Johnny Weissmuller est en terrain connu. Certes, il manque Jane. John Cawas, le partenaire de toujours de Nadia, essaye de remplacer la belle anglaise tant bien que mal. On y croit d’autant moins que John Cawas a lui-même joué Tarzan dans Toofani Tarzan en 1937. Mais qui peut croire à ces histoires de toutes façon ? L’unique objectif de Jungle Princess est de divertir, et il y réussit fort bien.

La chanson : Jo Koi Isko Peeve de Madhulal Damodar et Indra Chandra
Malgré leur coté souvent « bricolé », les films des frères Wadia sont pleins de surprises. Certaines chansons de Jungle Princess sont étonnantes, et c’est justement le cas de Jo Koi Isko Peeve. Une artiste vient vanter les mérites du whisky à la petite troupe d’explorateurs dans un cabaret de fortune, censé être situé dans un coin reculé d’Afrique.

Non seulement la ritournelle est entêtante, mais c’est une des premières « chansons à boire » dans un cabaret à Bollywood, bien des années avant que Cuckoo puis Helen ne les généralisent. Mieux, le numéro se rapproche beaucoup d’un item-number comme on les connait aujourd’hui. La chanteuse vient pousser la chansonnette devant un public aux anges d’être encanaillé. Elle s’appelle Shehzadi et était la sœur de Zubeida (la vedette d’Alam Ara) et de Sultana, deux actrices qui ont fait les beaux jours du cinéma muet.

Jo Koi Isko Peewe interprétée par Shehzadi


Kismet


Année : 1943
Réalisation : Gyan Mukherjee
Avec : Mumtaz Shanti, Ashok Kumar, Chandraprabha et V. H. Desai
Box Office : n°1 , All Time Blockbuster

Le film : Malgré les succès qui s’enchaînent, Bombay Talkies est en pleine tourmente en 1943. Les employés se déchirent et Devika Rani éprouve les plus grandes difficultés à maintenir la cohésion de son studio. C’est dans cette atmosphère délétère que Gyan Mukherjee écrit et réalise Kismet (« Destin ») à la fin de l’année 1942.

Il met en scène Shekar (Ashok Kumar), un gentil voleur qui vient au secours de Rani (Mumtaz Shanti), accablée de malheurs. Elle est ruinée depuis que son père (P .F. Pithawala) les a abandonnées elle et sa sœur Leela. Elle est handicapée, ses biens sont sur le point d’être saisis et Leela, enceinte sans être mariée, envisage le suicide. Shekar qui avait trouvé refuge par hasard dans la maison de Rani, se décide à dépouiller le riche voisin de Rani qui se trouve être son créancier et le père du garçon indélicat qui refuse d’épouser Leela. Mais tout ne va pas se passer exactement comme il l’imaginait…

Malgré une trame simple qui fait la part belle à des rebondissements invraisemblables, Kismet est le plus gros succès de cette année de guerre. Il est même le premier film indien à franchir la barre symbolique du crore net (10 millions de roupies après déduction des taxes). Ashok Kumar qui avait souvent été éclipsé par les vedettes féminines de ses films accède enfin à la célébrité pour lui-même.

Cela ne suffira pourtant pas à éviter l’éclatement de Bombay Talkies en mars 1943 : Gyan Mukherjee, Ashok Kumar et une quinzaine d’autres piliers du studio partent fonder Filmistan.

La chanson : Dheere Dheere Aa Re Badal d’Anil Biswas et Kavi Pradeep
Il est temps de dormir dans la maison de Rani. Shekar installé à l’étage tout comme Leela ne parviennent pas trouver le sommeil. Rani chante une berceuse…

Tout le film respire la douceur et Dheere Dheere s’inscrit dans cette ligne avec une mélodie délicate sur le thème atypique d’une berceuse. Elle est interprétée à deux reprises, d’abord avec Rani seule, puis dans un duo avec Shekar. Ashok Kumar chante lui-même sa partie, mais Mumtaz Shanti est doublée dans les deux versions par Amirbai Karnataki qui devient à cette occasion une chanteuse de premier plan. Il est difficile d’imaginer à entendre cette voix si douce qu’à cette époque, Amirbai était une femme battue qui n’a dû son salut qu’à sa sœur aînée pour quitter l’homme qui en plus la volait.

Dheere Dheere Aa Re Badal chantée par Amirbai Karnataki pour Mumtaz Shanti


Rattan

Année : 1944
Réalisation : M. Sadiq
Avec : Swaran Lata, Karan Dewan, Wasti, Gulab et Azurie
Box Office : n°1 , All Time Blockbuster

Le film : Qui a dit que les films de Bollywood finissaient toujours par un mariage célébré dans un tourbillon sucré de rires de danses et de chants ? Et bien non. Le plus grand succès de 1944 et le second de la décennie toute entière est une tragédie. Les deux personnages principaux passent le plus clair des deux heures du film à pleurer. Quand on pense que le ciel pourrait s’éclaircir, il s’assombrit un peu plus.

Rattan nous raconte l’histoire de Gauri, jouée par Swaran Lata, qui est amoureuse de Govind, interprété par Karan Dewan. Il le lui rend bien et tout se passerait pour le mieux s’ils étaient de la même caste. Mais ce n’est pas le cas et Gauri se voit contrainte d’épouser Rattan, un veuf de 20 ans son aîné. Govind tout comme Gauri sont désespérés. Rattan se rend compte de la faute qu’il a commis en se mariant avec une jeune femme comme on s’offre un cadeau, mais il n’ose rien faire. Des mois passent pendant lesquels les deux amants séparés sont à l’agonie chacun de leur coté. Lorsque Rattan comprend enfin et se décide à agir, il est trop tard.

Cette variation rectiligne autour du thème éternel de l’amour impossible ne vaut pas que pour les torrents de larmes déversés. C’est avant tout un film réformiste qui dénonce les conventions sociales qui écrasent les deux personnages principaux, alors que tous, sans exception, agissent en respectant leurs consciences et en pensant bien faire. Mais il ne rejette pas les mariages arrangés pour autant en nous montrant par exemple des moments étonnants de tendresse entre les deux parents de Gauri, peut-être une première dans le cinéma indien en général si pudique.

Le film comprend douze longues chansons qui lui donnent un air de comédie musicale comme on en voit rarement dans le cinéma hindi, même à cette époque. Cette musique fut également un formidable succès discographique qui installa Naushad, son compositeur, au sommet pour des décennies.

La chanson : O Jaane Wale Balamwa de Naushad et D.N. Madhok
Rattan a invité Govind à passer la nuit dans sa maison. Les amants sont mis en présence l’un de l’autre mais Gauri est maintenant mariée au maître des lieux. Ces retrouvailles si souvent rêvées s’avèrent pires que la mort. Inconscient des tourments du jeune homme et de son épouse, Rattan a fait venir des danseurs qui présentent leur chanson devant toute la maisonnée réunie…

O Jaane Wale Balamwa est dansée par Azurie accompagnée de son élève et partenaire habituel Krishna Kumar. Celle qui a fait les beaux jours de la danse au cinéma depuis le milieu des années 1930 est déjà à cette époque en fin de carrière. Elle émigrera bientôt au Pakistan où elle fondera une école de danse, laissant ainsi la place à une toute jeune danseuse : Cuckoo.

O Jaane Wale Balamwa dansée par Azurie et Krishna Kumar

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