Bollywood en chansons : 1945-1949
Publié jeudi 28 septembre 2017
Dernière modification lundi 11 septembre 2017
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Année : 1945
Réalisation : Mehboob Khan
Avec : Ashok Kumar, Veena, Nargis, Chandra Mohan et Shah Nawaz
Box Office : n°7 , Average
Le film : Le succès de Pukar en 1939 a relancé la mode des films à grand spectacle basés sur des sujets historiques. Le public a ainsi pu voir par exemple Alexandre le Grand dans Sikander (1941) ou les empereurs Akbar et Babar dans Shahenshah Akbar (1943) et Shahenshah Babar (1944). Ce genre inspire Mehboob Khan qui s’y essaye à son tour en 1945 avec Humayun, une biographie très romancée du second empereur moghol.
L’histoire commence avec la bataille de Pânipat (1526) marquée par la victoire de Babar (Shah Nawaz) qui devient dès lors le premier empereur moghol. Humayun (Ashok Kumar), son fils, l’avait assisté dans la guerre, ce qui lui vaut la rancune éternelle de Randhir Singh (Chandra Mohan), un prince Rajput. Ce dernier est d’autant plus vindicatif que sa sœur Rajkumari (Veena) a non seulement fait allégeance au nouvel empereur, mais a accepté d’être adoptée par lui comme si elle était sa fille.
Un jour, Hamida Bano (Nargis), une princesse musulmane, vient présenter ses respects à Babar. Humayun tombe instantanément amoureux de la jeune femme et demande sa main. Elle refuse, et de dépit le prince sombre dans un état catatonique proche de la mort. Babar, très affecté par son état, implore Dieu de prendre sa propre vie plutôt que celle de son fils. Il meurt peu après et Humayun se réveille, devenant ainsi le second empereur moghol. Hamida n’est toujours pas enthousiasmée à l’idée d’épouser l’empereur, au point de s’exiler volontairement. Commence alors une succession de révolutions de palais et de batailles épiques qui amènent le pacifique Humayun à perdre son trône, le retrouver, puis enfin à épouser Hamida.
Grâce à sa mise en scène très spectaculaire, qui compense un scénario éloigné des réalités historiques, Humayun est une réussite commerciale de 1945. La critique en revanche est très partagée, non pas sur ses qualités artistiques, mais à cause de sa présentation sans nuances d’un islam juste et tolérant. À l’époque, la Ligue musulmane de Jinnah réclamait avec virulence la création du Pakistan, et le film pouvait être vu comme délivrant un message communautariste distordant l’Histoire pour dénigrer les Hindous hostiles à la séparation.
La chanson : Aye Chand Tu Bata De de Ghulam Haider et Shams Lucknavi
Hamida vient de rencontrer le prince Humayun pour la première fois. Elle est troublée à en perdre le sommeil…
Aye Chand Tu Bata De chantée par Rajkumari pour Nargis
Année : 1946
Réalisation : Mehboob Khan
Avec : Noor Jehan, Suraiya, Surendra et Zahur Raja
Box Office : n°1 , Blockbuster
Le film : Noor Jehan domine outrageusement le box-office indien au milieu des années 1940. Trois de ses films constituent ainsi le trio de tête en 1945 et Anmol Ghadi sera le plus gros succès de 1946, juste devant Shah Jehan avec un K.L. Saigal déjà très malade. L’époque est aux acteurs-chanteurs, ce qui n’a pas échappé à Mehbbob Khan.
Le point de départ d’Anmol Ghadi (« La montre inestimable ») est plutôt commun dans le Bollywood des années 1940 : deux enfants, Lata et Chander, s’aiment d’amour tendre et se trouvent séparés. Lata est la fille d’une riche famille alors que Surender est le fils d’une veuve pauvre. Lata suit son père, qui est muté à Bombay, laissant Chander désespéré dans son village avec sa mère. Au moment de le quitter et pour qu’il se souvienne d’elle, Lata fait cadeau à Chander de la montre précieuse que son père lui avait offerte.
Les enfants grandissent. Chander (Surendra) étudie et grâce à son ami Prakash (Zahur Raja) tient un magasin de réparation d’instruments de musique à Bombay. Il rêve toujours à Lata mais ne sait comment la retrouver. Lata (Noor Jehan) de son côté est devenu un écrivain à succès sous le nom de plume de Renu Devi. Elle pense sans arrêt à Chander sans pouvoir le rejoindre. Sa cousine Basanti (Suraiya) la taquine sans se douter de la profonde blessure de Lata. Un jour, Basanti fait réparer son sitar dans le magasin de Chander. De son côté, Chander est intrigué par Renu Devi qui a relaté dans un de ses romans une histoire si proche de la sienne…
Cette bluette conventionnelle — si ce n’est sa fin surprenante — est l’occasion d’entendre des airs inoubliables interprétés par Noor Jehan. Mais elle ne sait pas jouer et ne peut que chanter là où on l’a posée. Comme pour compenser, Mehboob Khan a inséré dans Anmol Ghadi une histoire parallèle poignante où il explore les relations de Chander avec sa mère. Cette variation autour de la mater dolorosa préfigure certains aspects du personnage de Radha dans Mother India qu’il réalise onze ans plus tard.
La chanson : Awaz De Kahaan Hai de Naushad et Tanveer Naqvi
Lata et Chander se sont retrouvés par hasard nez-à-nez dans un parc de Bombay. Ils n’osent pas se reconnaître et s’éloignent sans dire un mot. Leurs cœurs leur disent pourtant que ce sont eux. De retour chez eux ils chantent l’espoir de se retrouver.
Cette chanson est l’une des plus célèbre du répertoire de Noor Jehan. Elle la présentera sur scène toute sa vie pour le plus grand plaisir d’un public en adoration.
Awaz De Kahan Hai chantée et interprétée par Noor Jehan et Surendra
Année : 1947
Réalisation : K. Amarnath
Avec : Noor Jehan, Trilok Kapoor, Gulab, Gope et Cuckoo
Box Office : n°4 , Semi-Hit
Le film : Mirza Sahiban est l’une des trois grandes tragédies populaires du Pendjab. Elle a été portée à l’écran plusieurs à reprises depuis 1929 avec parfois quelques importantes variations, mais dans cette version de 1947, les auteurs se sont appliqués à ne pas trop dévier d’une trame qui a été couchée sur le papier au début du XVIIe siècle.
Elle raconte l’histoire de Mirza, un jeune garçon turbulent que sa mère confie à son oncle pour l’éduquer loin du village exaspéré par ses facéties. Dans la maison de son oncle, il fait la connaissance de sa cousine Sahiban avec laquelle il noue des liens d’amitié réciproques. Des années plus tard, leur attirance enfantine se transforme en amour sincère, et les deux jeunes adultes (Trilok Kapoor et Noor Jehan) n’hésitent pas à se rencontrer seuls dans la forêt proche de la maison. Ils sont surpris par Bhuman (Gope) qui en fait part à Shameer, le frère de Sahiban. Ce dernier, ne pouvant supporter le déshonneur causé par une sœur vue seule avec un homme, fait chasser Mirza et organise le mariage de Sahiban avec Bhuman.
Sahiban au désespoir fait parvenir un message à Mirza qui revient au grand galop l’enlever le jour même de ses noces. Shameer et tout ce que le village compte d’hommes valides partent à leur poursuite dans l’intention de les tuer. Mirza est un archer émérite. Il parvient à atteindre quelques poursuivants, mais Sahiban, de peur qu’il ne tue son frère, casse l’arc de Mirza. Shameer réussi alors à lancer un couteau qui tue l’amant de sa sœur. Constatant que Mirza est mort, Sahiban se suicide avec le même couteau.
Cette histoire est en réalité celle d’un crime d’honneur auquel tous les personnages souscrivent, ce qui rend le film particulièrement douloureux à voir. Le public indien en a fait cependant un des succès de l’année. Mais il s’est probablement précipité dans les salles avant tout pour écouter la voix merveilleuse de Noor Jehan dans son dernier récital avant qu’elle ne parte s’installer au Pakistan.
Mirza est incarné par Trilok Kapoor, le jeune frère de Prithviraj habituellement cantonné aux films mythologiques. Il est accompagné de Gope, le comique de service, et surtout de l’adorable Gulab qui joue la mère de Sahiban. Elle avait commencé comme jeune première en 1925 et poursuivait sa carrière avec des rôles de mère, puis, jusqu’au début des années 1970, par des personnages de grand-mère. Elle reprendra le même rôle dans la version de 1957 dans laquelle Trilok Kapoor est remplacé par son neveu Shammi.
La chanson : Saamne Gali Mein Mora Ghar Hain de Amarnath-H. Bhagatram et Aziz Kashmiri
Bhuman (Gope) se prépare à se marier avec Sahiban (Noor Jehan). Avant d’arriver au village avec son groupe d’invités, il s’offre ce qui ressemble à un « enterrement de vie de garçon »…
Saamne Gali Mein Mora Ghar Hain chantée par Zohrabai Ambalawali et dansée par Cuckoo
Année : 1948
Réalisation : Ramesh Saigal
Avec : Dilip Kumar, Kamini Kaushal, Leela Chitnis et Chandra Mohan
Box Office : n°1 , Super Hit
Le film : Les producteurs de Shaheed (« Martyr ») ont promu le film comme étant basé sur le mouvement Quit India lancé par Gandhi en 1942. Le spectateur est donc fondé à imaginer voir un film sur ces troubles qui ont envoyés près 100 000 personnes en prison. La réalité est plus compliquée, car si le mouvement de résistance sert effectivement de toile de fond, Shaheed est avant tout un drame d’amour tragique.
Le public du nouvel État s’est présenté en masse pour voir Ram (Dilip Kumar), un jeune idéaliste qui rêve de chasser les Anglais hors d’Inde au besoin par la force. Blessé au cours d’une action armée, il est soigné par Sheela (Kamini Kaushal) une amie d’enfance qui fait des études de médecine. Ils tombent amoureux et voudraient se marier, mais c’est impossible car Ram est activement recherché. Une fois guéri, il rejoint la clandestinité et devient commandant dans l’armée de libération. Profitant de sa position Vinod, un autre ami d’enfance, officier de police, exige d’épouser Sheela en échange de la vie de son frère. La mort dans l’âme, elle accepte mais se refuse à lui et se laisse dépérir. Plus tard, Ram, qui n’avait pu revoir Sheela que brièvement, est capturé, jugé, condamné à mort puis exécuté. Sheela rend son dernier souffle alors que le cortège funèbre de Ram passe sous son balcon.
Il serait cependant injuste de ne voir Shaheed que comme un simple mélodrame car il contient de nombreux éléments propres à glorifier la toute jeune Nation. Il célèbre ainsi Gandhi, qui avait été assassiné quelques mois avant la sortie du film, mais aussi Nehru et sa famille. L’auteur-réalisateur Ramesh Saigal fait même un long discours en voix-off en paraphrasant les grands leaders dans une évocation des événements de 1932. Le Parti du Congrès n’est pas oublié car il est présenté comme le parti unique, celui qui lie de manière indéfectible tous les Indiens, qu’ils soient non-violents inspirés par Gandhi ou favorables à la lutte armée. Enfin, le remarquable plaidoyer de Chandra Mohan à la fin du film constitue un intense moment patriotique.
La chanson : Watan ki Raah Mein de Ghulam Haider et Raja Mehdi Ali Khan
Ram (Dilip Kumar) vient d’être choisi pour diriger un détachement qui doit empêcher le ravitaillement des troupes anglaises. Il chante pour galvaniser ses troupes…
Mohammed Rafi n’avait que 23 ans à la sortie du film mais il était déjà un chanteur reconnu. Par un hasard étonnant, Nehru, lui décerne la semaine suivant la présentation publique de Shaheed une médaille pour une autre chanson patriotique qu’il avait créée après l’assassinat de Gandhi en janvier 1948, Suno Suno Aye Duniyawalo Bapu Ki Yeh Amar Kahani.
Shaheed Watan Ki Raah Mein interprétée par Mohammed Rafi et Khan Mastana
Année : 1949
Réalisation : Raj Kapoor
Avec : Nargis, Raj Kapoor, Prem Nath, Nimmi, K.N. Singh et Cuckoo
Box Office : n°1 , Blockbuster
Le film : Aag, le premier film de Raj Kapoor avait été un succès critique et commercial, mais c’était peu de chose par rapport à Barsaat qui termine en tête du box-office en 1949. Le fils de Prithviraj Kapoor y retrouve Nargis et son beau-frère Prem Nath, et leur adjoint la toute jeune Nimmi pour une charmante dissertation sur l’amour. Sa construction originale nous présente deux romances parallèles qui auront deux fins différentes.
Deux amis citadins fortunés, Pran (Raj Kapoor) et Gopal (Prem Nath), passent leur vacances dans une vallée reculée du Cashemire. Gopal est un coureur de jupons sans cœur qui n’hésite pas à mentir à la pauvre Neela (Nimmi), une villageoise qui l’aime follement. À l’inverse, Pran est un idéaliste en quête du grand amour qui se présente bientôt sous les traits de Reshma (Nargis), la fille de leur logeur. Après une nuit passée chez elle, Gopal délaisse sans remords Neela en lui promettant de revenir l’année suivante à la mousson (« Barsaat »). Il n’en pense rien bien sûr, condamnant la jeune femme au désespoir. De son côté, le père de Reshma ne peut laisser sa fille roucouler avec un garçon de la ville et tente de la tuer pour éviter qu’elle rejoigne son amant. Pran la croit morte et sombre lui aussi dans le désespoir…
Malgré la tragédie qui frappe quand on ne l’attendait plus, Barsaat est un film optimiste qui signe la victoire de l’amour et nous fait entrer de plain-pied dans l’âge d’or de Bollywood. Et puis, que Nargis est jolie !…
La chanson : Mujhe Kissi Seh Pyaar Ho Gaya de Shankar-Jaikishan et Jalal Malihabadi
Même si elle ne sait pas encore bien ce qu’est l’amour, Reshma vient le chanter à Pran.
Shankar-Jaikishan, le duo de directeurs musicaux composé de Shankar Singh et Jaikishan Dayabhai Panchal s’est formé à l’occasion de Barsaat. Il composeront jusqu’à la mort de Jaikishan en 1971 d’innombrables mélodies qui restent encore en mémoire aujourd’hui.
Mujhe Kissi Seh Pyaar Ho Gaya chantée par Lata Mangeshkar pour Nargis